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comme lui, il ne s’observe pas toujours et surtout il ne se dépeint jamais. » Quoi de surprenant à cela ?


… Un grand peintre, avec pleine largesse.
D’une féconde idée étale la richesse
Et fait briller partout de la diversité…
Mais un peintre commun trouve une peine extrême
À sortir dans ses airs de l’amour de soi-même.
De redites sans nombre il fatigue les yeux
Et plein de son image, il se peint en tous lieux.


Ainsi parle Molière lui-même dans ce curieux poème sur la Gloire du dôme du Val de Grâce, qui prouve entre parenthèses, quel amateur il était ; et ce n’est pas moi qui dirai de lui ce qu’il dit du peintre commun. Non, le signe de la Divinité, c’est la création ; l’invention, voilà le signe du génie. Il n’y a de Molière dans les types de Molière que parce que dans tous les cœurs il est toujours de l’homme !

Mais pourquoi, dira-t-on, tenez-vous tant à prouver que Molière ne s’est pas mis en scène dans ce ridicule Arnolphe, qu’il nous représente si gaîment berné par sa pupille, une innocente, et par ses valets, deux imbéciles ? Pourquoi j’y tiens ? Mais parce que cette idée si fausse, et, certes si peu avantageuse à Molière, en a engendré une autre non moins incongrue : à savoir que ce rôle d’Arnolphe est un rôle tragique et qu’Arnolphe, c’est-à-dire Molière, doit nous faire pleurer au cinquième acte. Hé oui ! cette idée étrange, émise par un ennemi de Molière dans un des plus sots pamphlets qu’ait fait éclore l’École des femmes, cette idée a été reprise plus tard par des gens qui se disent ses admirateurs ; et tandis que le sieur Robinet en prenait texte pour reprocher à Molière de ne pas savoir son métier, ces amis de Molière en prétendent au contraire tirer parti pour le faire admirer davantage. D’après eux, le comble du génie, pour un poète comique, c’est de faire pleurer ; pour un auteur tragique, c’est probablement de faire rire.

Je le répète, l’idée n’est pas tente neuve. Il paraîtrait même que des acteurs s’y seraient trompés. Le Kain, — le farouche Orosmane, — rêva de jouer le rôle d’Arnolphe, prétendant que ce n’était pas faire une excursion dans un domaine étranger, mais rentrer dans un bien qui lui appartenait. Il y réfléchit, sans doute ; car on ne voit pas qu’d ait jamais terrifié Agnès ni le public de ces chaudières bouillantes dont Arnolphe la menace et qui sont si éminemment tragiques en effet. Pourtant l’idée survécut. Au beau temps du romantisme, elle passa article de foi. Gautier la mit en beau style et Provost la mit en action. Il fit un Arnolphe quasi touchant. Quel triomphe !.. Il y a quelque temps, je voyais dans un roman de