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chicaner, puisque c’est à elle que nous devons cet éternel bienfait : à savoir, moins de trois mois après, l’apparition du Tartufe (mai 1664).


III.

Revenons à l’École des femmes, restée, après deux cent vingt ans, la plus jeune des quatre grandes pièces de Molière. C’est que, comme Tartufe, elle est toujours en situation. La question femmes, en France, n’a jamais cessé d’être brûlante, et tant que nous serons du monde, — grâce à elles, — elles occuperont et dérangeront nos meilleurs esprits. Molière s’est toujours soucié de leur éducation, et aux deux bouts de sa carrière, l’École des femmes et les Femmes savantes se font la réplique, cela d’ailleurs, quoi qu’il en semble, sans se contrarier aucunement. Il y a plus de maturité dans les Femmes savantes; mais il n’y a pas moins de profondeur dans la générosité de l’École des femmes. Arnolphe, Horace, Agnès, sont des types impérissables, entrés pour jamais dans notre vie de tous les jours, et leur histoire, mise à la scène avec tant de hardiesse et de passion, était une des admirations les plus vives de l’homme de notre temps qui s’est le plus trouvé de la famille de Molière, — de Balzac.

D’abord, et n’en déplaise à Aristote, la pièce est bien faite. Il n’y a rien d’amusant comme cette éternelle confidence de l’amoureux au jaloux. Tous ces récits sont si vivans, si gais, si colorés, que l’action même produirait dix fois moins d’effet. Supposez que ce soit sous nos yeux qu’Agnès surprise enferme Horace dans l’armoire ; qu’y aura-t-il là de si piquant? Mais qu’Horace, sorti de l’armoire, raconte le fait à Arnolphe, à celui-là même que, sans le voir, il a entendu soupirer, quereller le chien et décharger son courroux sur les porcelaines, voilà la comédie, voilà l’imprévu, voilà le rire. Et ces monologues d’Arnolphe ! il y en a douze, bien comptés, dont la plupart fort longs : et pas un qui se répète ! — Douze monologues ! qu’en doit penser M. Sarcey, l’ennemi né du genre ! — Et dans quel style ils sont écrits ! La bonne et savoureuse langue, grasse et fondante, toute bourgeoise et toute populaire, légère au pourchas et hardie à la rencontre ! Les académistes reprochaient à Molière ses barbarismes, ses incorrections, et la liberté qu’il prenait d’inventer de nouvelles expressions ; mais c’est tout cela, avec ce vieux fonds de farce et de fabliau que La Fontaine allait piller aussi, c’est tout cela qui donne à son style cette belle franchise, cette saine richesse, ce cossu qu’y admirait Sainte-Beuve.

Et cette langue est bien l’expression de sa pensée, large, vaillante et généreuse, et humaine jusqu’à la prodigalité. Ce grand railleur, quoiqu’on en ait dit, est le contraire d’un Hamlet; l’homme