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Ces grandes entreprises continueront-elles à être dirigées et exploitées par des compagnies concessionnaires qui sont chargées en même temps de pourvoir, à l’aide de capitaux privés, à l’extension nécessaire du réseau, ou bien désormais l’état, après avoir racheté, comme il en a le droit, les compagnies existantes, se chargera-t-il directement de la construction et de l’exploitation ? Entre ces deux systèmes se présentent des combinaisons diverses, qui tendent à corriger ce que chacun d’eux pourrait avoir de trop absolu ; mais ces combinaisons, plus ou moins ingénieuses, n’offrent qu’un intérêt tout à fait secondaire. Il vaut mieux, pour l’utilité de la discussion, s’en tenir à la question de principe : convient-il de laisser les chemins de fer aux compagnies ou de les remettre à l’état ?

A voir l’acharnement avec lequel la polémique s’est engagée et se poursuit au sein du parlement et dans la presse, on pourrait croire que la question est nouvelle, qu’elle se pose pour la première fois, et que nous avons à chercher des lumières pour éclairer des régions inconnues. Il n’en est rien, le débat remonte à l’origine même des chemins de fer. Les partisans des compagnies et les partisans de l’état ne font que rééditer aujourd’hui les argumens contradictoires qu’ils produisaient en 1840. Les uns et les autres soutiennent de vieilles doctrines, rajeunies à peine par le souffle des passions politiques ou économiques, et surtout par l’excitation des intérêts. Il ne faut point, cependant, regretter le réveil de cette discussion qui semblait éteinte. Devant un programme de travaux neufs, qui doivent doubler l’étendue de notre réseau et qui coûteront plusieurs milliards dépensés, dans une courte période, il est nécessaire d’arrêter à l’avance un plan d’exploitation et de se décider entre les différens systèmes. L’incertitude ne saurait se prolonger sans de graves dommages ; elle inquiète les intérêts présens et elle compromet l’avenir. Il est donc urgent de prendre un parti, et, quand on aura pris ce parti, il sera sage de s’y tenir. Les difficultés actuelles viennent précisément de que le système qui paraissait avoir été définitivement adopté sous l’empire a subi, dès avant 1870, de fréquentes dérogations. Du jour où le service des chemins de fer a cessé d’être attribué ou imposé exclusivement aux six grandes compagnies, le mécanisme s’est trouvé faussé et la combinaison tout entière a été remise en question. La création des compagnies dites secondaires, et l’extension abusive donnée aux chemins de fer d’intérêt local ont altéré et détruit l’économie du système. Le budget de l’état et les fortunes, particulières savent ce qu’il leur en coûte. Nous sommes avertis de ne pas recommencer ces écoles ruineuses, et, pour cela, nous devons, sans attendre l’achèvement des nouvelles lignes, et avant même que l’état l’engage trop loin dans l’œuvre de la construction, résoudre à nouveau le problème des chemins de fer.