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appréciation fut très goûtée de ses familiers, qui n’ont cessé de la citer, comme preuve de la sagacité du maître, jusqu’au jour de sa mort et la répètent peut-être encore aujourd’hui par habitude.

Cependant le temps a marché. Il s’est écoulé, non pas un siècle, mais quinze ans, et l’usine agricole, telle que je la comprenais et la définissais vers 1866, se trouve constituée, non chez nous, il est vrai, mais en Amérique, produisant à vil prix, presque sans main-d’œuvre, des masses de denrées alimentaires qui viennent porter le trouble sur nos marchés, le malaise et la ruine parmi nos populations rurales désorientées.

Ce n’est pas que nos gouvernans soient insensibles aux doléances de ce peuple d’électeurs mécontens. Jamais les intérêts agricoles n’ont été plus ménagés, plus favorisés. A l’exemple de l’empereur de la Chine, qui lui-même conduit la charrue dans la grande fête nationale de l’agriculture, nos ministres tiennent à honneur de présider les concours régionaux. Ils y prodiguent les bonnes paroles, les encouragemens et les récompenses. Les dégrèvemens d’impôt succèdent aux subventions. Les canaux d’irrigation et de dessèchement, les routes, les chemins de fer agricoles se multiplient, un peu plus il est vrai sur le papier que sur le terrain, non sans représenter cependant un chiffre sans cesse croissant de milliards s’ajoutant à notre dette publique. Mais la situation reste toujours la même, ou, pour mieux dire, va sans cesse en s’aggravant.

Tel est l’état de choses à propos duquel je m’efforce de rappeler l’attention sur des idées trop longtemps oubliées. Encourrai-je encore le reproche d’utopie? Dans ce cas, ce ne serait pas moi qui serais en avance sur mon siècle, mais bien notre pays qui malheureusement serait en retard sur le sien !


A. DUPONCHEL.