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en temps de crue une certaine quantité d’eau dont on répartit ensuite l’écoulement sur la durée des faibles débits d’étiage.

Les réservoirs ainsi établis, en lits de rivière torrentielle, sont exposés à deux causes de destruction : l’envasement qui les met rapidement hors de service, la rupture de la digue de retenue qui, à un moment donné, peut anéantir les habitations et propriétés riveraines sur toute l’étendue de la vallée en aval du barrage.

L’envasement est un inconvénient auquel on peut chercher un remède ; mais on ne saurait espérer en trouver contre la rupture du barrage de retenue, qui, en principe, doit toujours se produire un jour ou l’autre, d’autant plus terrible dans ses conséquences qu’elle aura été plus longtemps retardée et qu’elle coïncidera avec une crue naturellement plus forte en elle-même. Les maçonneries artificielles qui constituent le barrage, les rochers naturels qui peuvent former le seuil de son radier d’aval ne peuvent jamais offrir qu’une résistance relative à la chute de la nappe d’eau qui tombe sur eux de toute la hauteur du barrage et dont rien ne permet de délimiter par avance le poids total. De même qu’il n’est blindage de navire qu’on ne puisse défoncer par l’emploi d’un projectile de calibre suffisant, de même il n’est radier de barrage qui ne doive être tôt ou tard enlevé par une crue torrentielle supérieure à toutes celles qu’on avait pu observer précédemment. Le barrage de l’Habra a été emporté deux fois en moins de dix ans. La première fois, la crue étant relativement faible, l’inondation produite s’était arrêtée à quelques centaines de mètres de Pérégaux et n’avait causé que des dommages matériels ; la seconde fois, le barrage, plus solidement reconstruit, a montré plus de résistance. Il a fallu une crue beaucoup plus forte pour l’enlever. L’inondation a été naturellement plus considérable et a atteint les localités que la précédente avait épargnées. Il est à penser que la tradition légendaire d’une catastrophe dont tous les détails ne nous sont pas connus se perpétuera assez longtemps dans le pays pour empêcher la reconstruction d’un ouvrage qui devrait fatalement ramener une troisième catastrophe du même genre. Après ce nouvel exemple venant s’ajouter à tant d’autres que l’on pouvait déjà citer, on doit espérer qu’il ne se trouvera plus un ingénieur osant proposer l’établissement d’un réservoir de retenue de quelque importance en plein lit de rivière.

Mais qui ne conçoit combien ces conditions désastreuses d’établissement de tous les réservoirs de retenue que nous connaissons seraient changées si, au lieu de les construire en remblai, on pouvait les creuser à l’état de fouille profonde, dans un emplacement complètement distinct du lit d’écoulement des eaux, constituant un véritable bassin de réserve, enchâssé de toute part dans des terrains