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ou cinq fois plus grande n’y suffit pas, nous devons en conclure que la majeure partie de notre sol est composée de terres de qualité inférieure. Si l’on représentait par une teinte particulière les terres de première classe qui, recueillant la totalité de l’engrais atmosphérique, peuvent produire, suivant la rotation de l’assolement, 25 à 30 hectolitres de blé, ou nourrir 2,000 kilogrammes de bétail vivant au pâturage par hectare, on les verrait, aussi rares que les oasis cultivables à la surface du Sahara, s’étendre en lanières étroites le long de nos cours d’eau ou en taches éparses sur quelques régions privilégiées.

Les terres végétales ont à peu près toutes la même origine géologique. Elles proviennent de formations minérales, broyées, triturées par l’action mécanique des eaux courantes le plus souvent, et, sur quelques points, par celle des glaciers. Leurs caractères distinctifs sont faciles à reconnaître. En mettant un fragment de terre en suspension dans l’eau, on peut très rapidement le séparer par la lévigation en deux composantes essentielles; une matière inerte, le plus habituellement un sable quartzeux, qui reste au fond du vase, et un limon en suspension qui s’écoule avec les eaux de lavage. C’est la proportion relative et la composition minérale de ce limon qui caractérisent surtout la nature et la qualité de la terre végétale.

Deux composantes analogues, ou pour mieux dire identiques, se retrouvent dans les troubles que charrient les cours d’eau torrentiels, en temps de crue, et dont les dépôts constituent en tout lieu sur leurs rives nos terres de meilleure qualité. Il ne faut toutefois pas confondre l’alluvion fertile avec le limon, sans y comprendre le sable ou matière inerte qui doit nécessairement en faire partie. Le limon pur ne constitue pas plus la bonne terre végétale que la chaux pure ne constitue le mortier. Dans les deux cas, il est nécessaire de faire intervenir pour une forte part la matière inerte, divisante, sans laquelle le sol arable, trop compact et homogène, resterait imperméable à l’eau en temps d’humidité et se fendillerait en temps de sécheresse,

Si les alluvions que la Durance, l’une de nos rivières les plus limoneuses, laisse déposer sur ses rives, constituent en général par elles-mêmes des terres immédiatement fertiles et cultivables, on doit l’attribuer à ce que, par le fait de la permanence du courant affaibli sur la surface de dépôt, les sables de fond se mélangent aux limons de surface. Mais quand les eaux puisées à la surface et débarrassées de leur sable par un long parcours dans des canaux à faible pente ne laissent déposer que du limon pur, comme il arrive dans les bassins de décantation du canal de Marseille, les terrains qui en résultent sont complètement infertiles et ne peuvent être rendus cultivables qu’à grands frais, à grand renfort d’engrais