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diminuerait en rien le prix de vente des denrées; il n’aurait d’autre effet que de transmettre intégralement à des tiers, à des fermiers, le revenu délaissé par le propriétaire. Les terres sont en effet d’inégale valeur et produisent avec plus ou moins de frais la même denrée. Prenant pour terme de comparaison la culture la plus importante, celle du blé, on comprend parfaitement que, suivant la fécondité naturelle du sol, les frais de production de l’hectolitre doivent s’élever par gradation successive, suivant la classe, d’un minimum que je pourrais supposer de 10 francs à un maximum illimité, car il est des sols absolument infertiles qui ne restitueraient même pas la semence qu’on leur confierait.

Le producteur supposé libre de choisir la terre qu’il devra mettre en culture s’adressera de préférence à la meilleure d’abord, et successivement à celles de qualité inférieure jusqu’au moment où, le prix de revient se trouvant égal au prix de vente, il n’aurait plus que des pertes à éprouver au-delà. Si ce prix de vente, réglé par les besoins de la consommation, est de 20 francs par hectolitre, l’excédent constituant le bénéfice net de l’opération sera de 10 francs par hectolitre pour la terre de première qualité où les frais s’élèvent à 10 francs. Il ne sera que de 8 et 6 francs, etc. pour les terrains où les prix de revient sont de 12, 14 francs, etc. C’est cet excédent multiplié par le nombre d’hectolitres produits à l’hectare qui constitue en fait la rente de la terre, le prix de location que le propriétaire peut raisonnablement exiger du fermier.

La rente ne détermine pas le prix de vente de la denrée, mais elle en résulte; elle n’est pas cause, mais effet. Si, par le fait d’une moindre consommation ou d’une importation étrangère, le prix de l’hectolitre de blé baisse de 20 à 18 francs, la rente baissera nécessairement de 2 francs par hectolitre de blé sur les diverses classes de terres que nous avons supposées, jusques et y compris la dernière, qui, ne pouvant produire de blé à moins de 20 francs, restera nécessairement en friche.

En fait, dans la pratique, les choses ne se passent pas avec cette rigueur mathématique que suppose le fameux théorème de Ricardo, dont je viens de rappeler le principe théorique. Le blé n’est pas notre seule culture, et sa production ne saurait être prise pour unique terme de comparaison. Telle terre infertile, en ce sens qu’elle ne pourrait produire le blé au-dessous du prix de vente, n’en est pas moins susceptible de revenu net et, par suite, de rente pour son propriétaire en l’affectant à toute autre culture ou emploi agricole.

Mais, pris dans sa généralité, le théorème de Ricardo ne nous montre pas seulement de quelle chimérique utopie se bercent ceux qui voudraient résoudre les difficultés intérieures du problème agricole