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penser qu’ils ne s’évertueraient pas à multiplier au-delà de toute limite raisonnable des voies de transport qui n’ont de raison d’être que lorsqu’elles sont réellement appelées à desservir un trafic sérieux en voyageurs ou marchandises. S’ils voulaient trouver un utile emploi de leurs capitaux dans la construction des chemins de fer, ce n’est pas sur notre territoire métropolitain qu’ils les multiplieraient, mais sur ce continent plus voisin du nôtre que les états de l’Est américain ne le sont de ceux de l’Ouest, sur cette terre d’Afrique où nous avons planté notre drapeau depuis plus d’un demi-siècle et où nous n’avons pas encore ouvert plus de voies de fer que l’état de Dakota n’en construit en un an. Ils en auraient depuis longtemps, dans la marche de leur civilisation envahissante, sillonné non-seulement l’Algérie, mais la Tunisie et le Maroc. Ils n’auraient pas depuis six ans soumis la question du Transsaharien aux stériles discussions des commissions et des congrès géographiques ; mais franchissant d’un bond le Sahara sans plus s’en effrayer que des obstacles analogues qu’ils ont rencontrés sur leur territoire, ils auraient déjà pris pied dans ces riches régions de l’Afrique équatoriale, qui auraient offert à leur activité industrielle et civilisatrice plus d’élémens de prospérité que ne pourront jamais leur en fournir les vastes solitudes de leur Far-West.

C’est là que les Américains, s’ils avaient été à notre place, auraient probablement trouvé, c’est là certainement que nous devrions chercher la solution de tant de difficultés matérielles et morales qui entravent notre développement social. En aucun cas, ce ne saurait être à l’extension exagérée de nos chemins de fer ruraux que nous devrions demander la solution du problème agricole qui se discute chez nous.

S’il ne s’agissait que de réduire le prix de revient des denrées alimentaires pour le consommateur, on pourrait sans doute obtenir ce résultat, plus sûrement et à bien moins de frais pour l’état, en réduisant les tarifs des chemins de fer existans qu’en leur créant de ruineuses concurrences. Mais ce résultat profiterait autant aux blés américains qu’à nos blés indigènes. Du moment où, pour venir en aide à notre agriculture, ce qu’on doit se proposer, ce n’est pas de réduire le prix d’achat payé par le consommateur, mais d’augmenter le prix de vente payé au producteur, force nous est de reconnaître que la question de l’amélioration de nos voies de transport intérieures ne peut avoir aucune influence sur le résultat cherché.

On ne saurait trouver de palliatif plus sérieux dans l’allégement de ce que l’on est convenu d’appeler les charges particulières de notre agriculture. Les Américains, nous dit-on, n’ont à payer ni