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lui-même ; celle du général Grant et des hommes d’argent qui l’entouraient fut vaincue par celle qui voulait porter au pouvoir un homme pur de tout soupçon de corruption, et, dans la convention républicaine, la candidature d’un homme assez obscur, mais honorable, le président Hayes, l’emporta sur celle du vainqueur de Lee, qui n’affronta pas la lutte jusqu’au bout. En France, toute division dans le sein d’un parli amène immédiatement ses adversaires au pouvoir; en Amérique, le parti républicain a su faire sa police lui-même sans que, dans la lutte avec les démocrates, la victoire lui échappât. A vrai dire, il s’en est fallu de peu, et les moyens employés par les républicains pour se l’assurer ne sont pas de ceux qui font grand honneur à un parti. M. Hayes ne l’emporta que de quelques voix sur son concurrent, M. Tilden (si même il avait obtenu véritablement la majorité), et les protestations nombreuses que son élection souleva tinrent pendant plusieurs mois l’Amérique en suspens pendant qu’un tribunal arbitral examinait l’affaire. Quelle que fût la décision de ce tribunal, il était fort à craindre qu’elle ne fut pas acceptée par le parti vaincu ; car il y avait eu incontestablement recours à la fraude des deux côtés et sans voir l’avenir avec un parti-pris de pessimisme on pouvait craindre que les États-Unis ne fussent à la veille d’un nouveau déchirement et d’une nouvelle guerre civile, d’autant plus que, depuis plusieurs mois, il n’y avait en quelque sorte plus de pouvoir exécutif aux États-Unis. Mais la population américaine a donné dans cette circonstance un rare exemple de sagesse et de soumission à la loi. A peine la validité de l’élection du président Hayes eut-elle été prononcée par le tribunal arbitral que les adversaires de cette élection déposèrent les armes, remettant à la prochaine élection présidentielle la reprise des hostilités. Les hostilités ont recommencé, en effet, à l’expiration des pouvoirs du président Hayes, non pas seulement entre démocrates et républicains, ce qui était inévitable, mais entre les deux fractions du parti républicain, celle qui suit les inspirations du général Grant et celle qui est en réaction contre sa politique. Ce n’est pas sans peine que cette dernière a fini par triompher et que son candidat de la dernière heure, le général Garfield, est sorti vainqueur de la convention de Cincinnati. Cette nouvelle lutte a encore aigri les relations entre statwarts (ce sont les vaincus) et half-breds (ce senties vainqueurs), bien qu’on eût, comme fiche de consolation donnée aux statwarts, c’est-à-dire aux partisans du général Grant, appelé aux fonctions de la vice-présidence, un homme notoirement dévoué à la personne du général, M. Chester Arthur. Mais l’opinion publique se prononçait de plus en plus vivement aux États-Unis contre cette politique, et le président Garfield avait été nommé avec le mandat d’entreprendre