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qui puissent se rétablir, et quant au droit du quelques états de se retirer de la grande Union pour former une république à part, sans compter que cela leur serait matériellement impossible à exécuter par la force, où serait l’intérêt, aujourd’hui que la grande cause de désunion entre le Nord et le Sud a disparu ? Aussi les habitans du Sud, et ceux-là surtout qui appartiennent à cette génération nouvelle arrivée à l’âge d’homme depuis la guerre, ont-ils, je crois, complètement pris leur parti de la situation qui est faite aux anciens états confédérés, et au lieu de s’épuiser en regrets et en récriminations stériles, ils tournent virilement leurs yeux vers l’avenir. Ce qui leur rend au reste cette résignation moins méritoire et plus facile, c’est que la situation politique et matérielle des états du Sud s’est singulièrement améliorée depuis quelques années.

Pendant longtemps, cette situation a été absolument déplorable, et les fautes du Nord y étaient pour beaucoup. En appelant tous les nègres, sans distinction et sans tempérament, non-seulement à la liberté, ce qui était un droit, mais à l’égalité politique et au suffrage, les politiciens du Nord n’ont pas seulement blessé au point le plus sensible les gentlemen du Sud en poussant du premier jour à l’extrême cette égalité qui les humiliait, mais ils ont du même coup livré pour plusieurs années l’administration des états du Sud à toutes les ignorances et à toutes les passions d’une race à peine émancipée et exploitée par une bande de spéculateurs éhontés, ceux qu’on a appelés les carpet-baggers ; non point, comme ou l’a souvent répété, parce qu’ils étaient venus du Nord n’ayant pour tout bagage qu’un sac de nuit, mais parce qu’on les avait comparés à ces agens d’affaires véreux qui voyageaient portant, comme nos huissiers de campagne, dans une sacoche en cuir, les billets usuraires qu’ils avaient à recouvrer. On ne saurait exagérer l’état déplorable du Sud pendant les quelques années qu’on a appelées en Amérique la période de reconstruction et qui mériteraient bien plutôt d’être appelées la période de destruction. D’une part, toutes les assemblées politiques, tous les conseils municipaux, tous les emplois publics envahis par des nègres ou par des blancs qui ne valaient guère mieux ; de l’autre, les gentlemen du Sud organisés en sociétés secrètes et se vengeant par d’horribles représailles non-seulement de leurs oppresseurs, mais de ceux-là même, noirs ou blancs, qui travaillaient honnêtement à leurs affaires, et dont le succès les humiliait. On croit feuilleter un mauvais roman lorsqu’on lit les tristes exploits de la société des Ku-klux-klans, dont les membres, couverts d’un drap blanc, le visage caché ou peint en noir, parcouraient à cheval, la nuit, les campagnes du Sud, terrifiant les nègres, qui les prenaient pour des fantômes et exerçant tantôt contre eux, tantôt contre les blancs eux-mêmes, des vengeances et des mauvais