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plus digne des dévoûmens héroïques qu’elle a rencontrés et des sympathies qu’elle excite encore. Je ne crois pas non plus qu’il soit sérieux de dire qu’au fond de cette longue et sanglante guerre il n’y avait après tout qu’une querelle d’intérêts commerciaux, et qu’elle ne serait pas née si le Nord n’avait pas voulu imposer la protection au Sud et le Sud faire triompher le libre échange aux dépens du Nord. Sans doute il pouvait y avoir entre ces deux régions si différentes de l’Amérique opposition d’intérêts, comme il y a aujourd’hui, comme il y avait déjà à cette date opposition entre l’Ouest agricole et le Nord manufacturier, ou chez nous entre la Normandie et la Gironde. Mais si les hommes sont disposés à faire beaucoup de sacrifices aux questions d’intérêt, il y en a un dernier qu’ils consentent rarement et pour cause, car celui-là ne serait guère profitable, c’est le sacrifice de leur vie. On fera difficilement croire que plus de huit cent mille hommes se soient fait tuer de part et d’autre pour une question de tarifs plus ou moins élevés. Non, il y avait autre chose qu’une question de tarifs dans cette lutte, une des plus longues et des plus sanglantes que deux peuples se soient jamais livrée; autre chose même que la question de l’esclavage, qui, du reste, n’était pas seulement pour le Sud une question d’intérêt, mais une question d’orgueil individuel. Il y avait une question de patriotisme local mêlé à une question d’antipathie de race. Ce n’est pas d’hier ni d’avant-hier que la question du droit des états (the states rights) a joué un rôle capital aux États-Unis. Elle est née le lendemain de la déclaration d’indépendance. Jefferson et toute son école en ont été les champions déclarés, et toute une partie de l’histoire des États-Unis a été remplie par la lutte entre les fédéralistes qui étaient partisans d’un pouvoir central fortement constitué, armé de certains droits, pouvant intervenir dans la vie des états pour leur imposer le respect de certains principes ou réprimer certains écarts, et les républicains, c’est-à-dire les partisans de l’indépendance et de l’autonomie des états poussée aussi loin qu’il était possible sans détruire l’idée d’une république fédérative. La lutte a passé par bien des phases et pris bien des faces; au cours de ces péripéties, les partis ont même changé de nom : les républicains se sont nommés démocrates et les fédéralistes ont pris le nom de républicains. Mais l’antagonisme entre les deux opinions n’a pas cessé d’être très ardent. Les états du Sud n’ont jamais cessé d’être hostiles à l’idée d’une grande république unitaire et favorables à l’indépendance intérieure des états. À ce titre, leur cause ne serait rétrospectivement pas indigne de l’intérêt de l’opinion libérale. Nous avons payé assez cher nos manies d’unité pour les autres pour qu’il nous soit permis au moins de regretter le triomphe de cette tendance qui pousse les petits états à disparaître dans les grands, que ces états