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les nouveaux états et à propos de l’odieuse loi qui permettait aux propriétaires de poursuivre leurs esclaves fugitifs dans les états du Nord, discussions où le Sud avait toujours eu la majorité, ce fut la seule crainte de perdre cette majorité et de voir une politique anti-esclavagiste triompher par l’arrivée au pouvoir du président Lincoln qui détermina les états du Sud non-seulement à poser le principe de la sécession, mais à tirer le premier coup de canon. Il faut avoir oublié enfin qu’un des premiers états qui ait donné l’exemple de la sécession, la Caroline du Sud, a précisément, dans sa déclaration d’indépendance, donné comme raison l’intolérable prétention des états du Nord de réglementer la question de l’esclavage. Et s’il ne suffisait pas de rappeler ces faits connus de tout le monde et qu’il est vraiment trop commode de supprimer, je montrerais le rôle que la question de l’esclavage a joué dans cette lutte terrible par une preuve d’un tout autre genre, mais qui a bien sa valeur. Les lecteurs de la Revue se souviennent un peu confusément peut-être de l’épisode de John Brown, ce partisan un peu fou de l’abolition, qui, pour s’être avisé d’appeler les esclaves à l’indépendance et avoir tenté, à la tête d’une petite bande de noirs, de s’emparer de l’arsenal d’Harpers-Ferry, fut pendu comme un assassin. Mais cet épisode qui a précédé de quelques années la guerre de sécession, a eu beaucoup de retentissement aux États-Unis. De l’histoire de John Brown on avait fait une complainte et cette complainte était devenue pendant la guerre le chant populaire des armées du Nord. « Le corps du vieux John Brown pourrit dans son cercueil, mais son âme marche encore avec nous sac au dos, sac au dos. » Tel est le sens du refrain que plus d’un soldat de l’armée du Nord a répété pour soutenir son courage pendant une longue marche ou parfois une retraite désastreuse, et cette âme de John Brown qui marchait avec lui, qu’était-ce autre chose, sinon la résolution de mettre fin à tout prix, fût-ce celui de sa vie, à une institution dont il considérait le maintien comme une tache pour son pays? Les sympathies des amis de l’humanité ne se sont donc point égarées en se prononçant pour la cause du Nord, et cette cause méritait l’appui que dans notre pays lui ont prêté, dans des camps différens, ces généreux esprits qui s’appelaient les Montalembert et les Laboulaye.

Mais si l’esclavage a été la principale cause de la guerre, est-ce à dire que c’en fut la cause unique, et la chevalerie du Sud, comme les planteurs aimaient à s’appeler, n’a-t-elle pris les armes et n’a-t-elle déployé dans les combats tant de bravoure, dans la défaite tant de constance, que pour conserver le droit de faire travailler des esclaves pour son compte? Je ne crois pas qu’il fût juste de le prétendre, sans quoi la cause du Sud n’aurait pas été non