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repris leur empire, et le résultat de cette transformation a été qu’aujourd’hui la population nègre se développe au contraire dans une proportion beaucoup plus rapide que la population blanche. L’expérience est donc faite, et les deux races peuvent coexister à l’état libre sur le même sol. Quant à leur aptitude à recevoir l’instruction, il faut distinguer. Les enfans nègres sont très précoces et très intelligens et ils apprennent beaucoup plus vite que les enfans blancs; mais vers l’âge de treize ou quatorze ans leur développement intellectuel semble s’arrêter, et il est rare qu’un nègre dépasse la somme de connaissances qu’il a acquises à l’école primaire. Ils demeurent en quelque sorte enfans toute leur vie, impressionnables, mobiles, dépensiers, mais susceptibles d’attachement et de reconnaissance. En résumé, si les aptitudes des deux races sont loin d’être égales, la race nègre n’est pas non plus marquée à ce coin ineffaçable de dégradation morale et intellectuelle dont la population des villes présente, je le reconnais, l’apparence. Elle se relève peu à peu de la déchéance où elle a vécu, et à mesure que les générations nouvelles élevées à l’ombre de l’église et de l’école succéderont à la génération ancienne, cette population, tout en demeurant toujours (je parle du moins aussi loin que les prévisions peuvent rationnellement s’étendre) inférieure à la race blanche, n’en deviendra pas moins pour le Sud un élément précieux et sera pour ces états, qui n’ont jamais bénéficié du courant d’émigration, ce que la race irlandaise ou allemande est pour les états du Nord : l’agent du travail et, par conséquent, du progrès. »

On peut penser si ces renseignemens m’ont intéressé ; mais quelle que fût ma confiance dans le bon jugement de mon interlocuteur, il y a une chose qui m’eût intéressé encore davantage : c’eût été de contrôler par moi-même l’exactitude de ses appréciations et de faire une pointe, si rapide fût-elle, dans les états du Sud pour arriver sur ce sujet, sinon à une opinion, du moins à une impression personnelle. J’aurais été très curieux entre autres de traverser la Géorgie et de pousser jusqu’à Atlanta pour visiter une grande exposition des produits de la culture et de l’industrie cotonnière, dont les journaux du Nord vantaient les merveilles, comme s’ils tenaient fort à constater la prospérité renaissante du Sud. Un instant, j’ai cru que mon très vif désir allait être satisfait. J’avais fait connaissance à Baltimore avec un très aimable gentleman du Sud, que j’avais ensuite retrouvé à York-town et qui s’était pris de goût pour moi. Au premier abord, sa bonne grâce se manifestait d’une façon qui me mettait bien un peu dans l’embarras. Il voulait à toute force que je fisse la cour à une jeune personne. C’était pour lui affaire de patriotisme. « Vous verrez, me répétait-il sans cesse, comme elles sont gentilles.» J’avais beau lui répondre que je n’en doutais nullement, mais que, pour une excellente