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de cheveux à un coiffeur que d’un concierge à un portier) qui est le principal personnage de la colonie française et qu’on a adjoint au comité, ancien zouave et excellent homme, du reste. Il y aurait en ligne directe assez peu de distance du quai de débarquement à l’hôtel où nous devons descendre; mais, comme nous ne devons rester que peu de temps à Richmond, on nous fait auparavant décrire un long circuit au travers de la ville, en passant sous des arcs de triomphe, moins, je crois, pour nous la faire voir que pour nous faire voir nous-mêmes à la population, qui paraît prendre à ce spectacle un plaisir singulier. On nous mène chez le gouverneur, puis au Capitole, où nous admirons une statue en pied de Washington par Houdon, peu connue en Europe et qu’un aimable artiste, délégué par le ministre des beaux-arts, M. Régamey, affirme être une des plus belles du maître; puis enfin à l’hôtel, où l’on nous met au courant du programme des divertissemens : visite à l’exposition d’agriculture et aux courses, retour en ville, bal le soir ; le lendemain, de bonne heure, départ.

Nous repartons en voiture, nos commissaires galopant toujours aux portières, et, pour nous rendre au champ de courses, qui est en même temps le terrain de l’exposition agricole, nous suivons une longue avenue bordée de maisons assez élégantes, qui sont isolées les unes des autres dans de petits jardins carrés. Beaucoup de ces maisons sont neuves ; d’autres sortent à peine de terre. Je retrouve ici un peu de cette élégance et de cette vie qui devraient caractériser la capitale de l’autrefois opulente Virginie, et cette impression efface en partie celle que j’avais eue à mon arrivée. Je cherche à m’assurer laquelle de ces deux impressions est conforme à la réalité des faits. On me dit que l’une et l’autre sont justes, et qu’en effet la ville de Richmond a passé, après la guerre, par une longue période d’atonie et de langueur. Les plus riches familles étaient ruinées ; le commerce avait péri ; la population diminuait d’année en année. Puis, peu à peu, avec cette énergie et cette ténacité qui sont le trait du caractère américain, les habitans de Richmond se sont remis à l’œuvre ; ils ont en partie réparé leurs ruines, et aujourd’hui la ville, sans avoir tout à fait reconquis son ancienne prospérité, serait de nouveau en voie de développement et d’accroissement. Le dernier dénombrement a même accusé un chiffre d’habitans légèrement supérieur à celui que comptait la ville avant la guerre ; or c’est là aux États-Unis un grand signe de santé publique, une sorte de manière de tâter le pouls, à tel point que, dans l’intervalle d’un dénombrement à l’autre, certaines villes nouvelles sont capables d’enfler par des évaluations fantaisistes le chiffre de leur population. C’est la forme que prend l’amour-propre de clocher : elle n’est peut-être pas très idéale, mais, pratiquement, elle a du bon.