Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/739

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on l’offre, c’est celle-là que tu vas accepter ! » J’étais ému; les bonnes raisons se pressaient sur mes lèvres; comme toujours en pareil cas, je les exprimais mal et je sentais que je ne pouvais faire partager à Louis la conviction qui me dominait. Louis avait beau être habitué à mes emportemens, ma violence le déroutait, et il ne répondait rien. Je lui disais: « Ton père a été député et conseiller d’état ; il n’est rien que par les lettres ; s’il n’avait écrit ses pamphlets et ses Orateurs parlementaires, il serait inconnu ou du moins ignoré ; si jamais nous sommes quelque chose, c’est aux lettres que nous le devrons; nous sommes donc liés, en quelque sorte, par le devoir professionnel; tout ce qui atteint, amoindrit la littérature est pour nous faire horreur; nous ne devons tolérer aucune mesure qui lui nuise, ou du moins nous ne pouvons nous y associer sans manquer à notre conscience. » Louis regimbait et me disait: « Mais en quoi puis-je nuire à la littérature, parce que je serai rédacteur en chef du Moniteur? » Je trépignais; si les blasphèmes ouvrent l’enfer, c’est ce jour-là que je me suis fermé les portes du paradis. Je répliquais : « Parce que tu attireras forcément à ton Moniteur que Dieu confonde! les hommes dont le labeur conserve encore un reste d’existence aux journaux. » Louis reprenait : « Mais le gouvernement a cependant bien le droit d’avoir son journal. » Je ripostais: « Oui, certes, et ce qui le prouve c’est qu’il l’a, son journal il l’a tel qu’il le doit avoir. En temps de liberté de presse, il a le droit de faire de son journal ce qu’il voudra; mais aujourd’hui quand les neuf dixièmes des journaux ont été frappés de mort, quand toute polémique est interdite à ceux qui restent, quand ils ne peuvent vivre qu’à la condition d’être des recueils presque littéraires le gouvernement commet une iniquité en élevant une concurrence sans péril pour lui, dommageable pour eux et sans vergogne car elle s’appuiera sur une puissance financière illimitée. Entamer une partie, après avoir réuni tous les atouts dans sa main, c’est jouer à coup sûr, c’est-à-dire faire un acte d’improbité. » Nous avions beau discuter, nous ne nous comprenions pas.

Louis consulta son père, qui lui répondit : « Tu sais bien comment est Maxime; c’est un caractère exclusif avec lequel on ne peut tomber d’accord. » Sans être convaincu, Louis était indécis. Il interrogeait les gens de lettres qu’il connaissait, et recueillait les avis. L’un d’eux lui dit : « Combien paiera-t-on la ligne au Moniteur? » Quelques-uns répondirent: « Votre ami en parle à son aise ; il est facile d’être Spartiate quand on a des rentes.. Un autre qui guignait la succession de Gautier à la Presse poussa des cris d’admiration : « Ce projet est superbe; loin de nuire à la littérature, comme Du Camp se l’imagine, le gouvernement se met