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remettre ses lettres de rappel au roi Humbert, qui l’a accueilli comme il devait l’accueillir; il est revenu laissant à Rome les souvenirs d’un homme qui a mis tout son tact à servir l’amitié des deux pays, et, lui non plus, il n’a pas pour l’instant de successeur. On ne sait encore par qui il sera remplacé au palais Farnèse. Ainsi, maintenant, il n’y a pas plus d’ambassadeur d’Italie à Paris qu’il n’y a d’ambassadeur de France auprès du roi Humbert. Cette absence simultanée des deux chefs de légation n’est sans doute qu’une affaire d’un moment; elle ne prouve pas moins que la France et l’Italie, à l’heure qu’il est, n’ont point à s’entretenir très intimement. Le traité de commerce qui a été signé, qui est aujourd’hui discuté par notre sénat et qui va sans doute être ratifié, suffira-t-il pour déterminer les deux cabinets à nommer de nouveaux ambassadeurs, à rétablir leurs rapports tels qu’ils étaient, tels qu’ils devraient être toujours? C’est assurément fort à désirer; c’est possible, à la condition que l’Italie se décide à voir les choses comme elles sont, à ne pas chercher des inimitiés et des agressions là où il n’y en a pas, à ne pas se perdre indéfiniment dans une politique de mauvaise humeur, de ressentiment et de manifestations hostiles contre un pays qui ne peut pourtant pas être soupçonné d’avoir nui à sa fortune.

La vérité est que l’Italie en est encore à cette affaire de Tunis comme s’il y avait eu une conspiration préméditée contre sa puissance et ses intérêts. La France cependant, on ne peut s’y méprendre, n’a eu d’autre pensée que de sauvegarder ses propres droits, sa propre sécurité comme puissance africaine. Elle a été conduite à Tunis par les circonstances. Elle a été plus ou moins habile ou, si l’on veut, on a été pour elle plus ou moins habile dans la campagne diplomatique et militaire qui s’est trouvée engagée : c’est une autre question. Ce qu’il s’agit dans tous les cas de créer, d’organiser aujourd’hui, c’est évidemment une situation telle que les intérêts de tous les autres pays y trouvent leur sûreté aussi bien que les intérêts français. Que les Italiens raisonnables et clairvoyans sentent eux-mêmes combien il serait peu sérieux de subordonner toute la politique de leur pays à un incident dont il n’y a plus à s’occuper que pour en régler les conséquences convenablement, de concert avec la France, cela n’est pas douteux. Les esprits modérés le savent; le gouvernement a paru plus d’une fois embarrassé de tout le bruit qu’on faisait et aurait peut-être désiré qu’on lui laissât un peu plus la liberté de sa raison et de son action. Malheureusement les partis, par emportement ou par tactique, n’ont pas manqué de s’emparer d’une question dont ils ont cru pouvoir se servir pour se populariser. Les passions s’en sont mêlées, créant un de ces mouvemens factices d’opinion qu’un ministère n’ose braver, et c’est ainsi que, depuis un an, on se laisse aller, sous