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faculté laissée aux ministres des cultes d’aller dans les écoles; il ne reste que ce qu’on appelle « l’instruction civique, » des contraintes et des pénalités pour les parens, des examens aussi puérils qu’arbitraires imposés aux enfans qui seront instruits dans leurs familles. C’est l’obligation dans tout ce qu’elle a de blessant et de dur, sans compensation ni atténuation.

Vainement, M. Jules Simon et M. le duc de Broglie ont parlé avec une vive et forte éloquence ; vainement on a essayé de rétablir le nom de « Dieu » dans la loi, de ressaisir quelques garanties ou tout au moins d’obtenir quelques explications; vainement un sénateur républicain et breton, M. Jouin, s’est efforcé de réclamer quelques droits pour la liberté, un certain adoucissement des rigueurs les plus pénibles et les plus criantes de l’obligation. Rien n’a été entendu ; c’était évidemment un parti-pris. M. le ministre de l’instruction publique s’est borné à répondre, non sans âpreté, aux uns et aux autres que le temps des concessions était passé, que l’amendement sur les « devoirs envers Dieu » était inutile et dangereux, qu’il n’y avait plus qu’à sanctionner purement et simplement ce que la chambre nouvelle avait voté, sous peine de se retrouver, comme aux élections dernières, en face de la révision du sénat. M. le ministre de l’instruction publique a réussi selon ses vœux, il a eu son vote. « Vous allez faire une mauvaise loi, » lui a dit avec tristesse M. le sénateur Jouin; c’est, dans tous les cas, une loi qui a le malheur de pouvoir devenir entre des mains violentes ou impatientes un instrument de persécution et de rester plus que jamais avec le caractère indélébile d’une œuvre de secte.

Sans doute, M. Jules Ferry s’est défendu de toute arrière-pensée persécutrice, et comme il ne pouvait cependant méconnaître ce qu’il y a de vague, d’équivoque ou d’arbitraire dans certaines dispositions qui ont été votées avec le reste, il s’est borné à répondre qu’on y veillerait, que tout serait fait libéralement et paternellement, qu’il ne fallait pas tant se défier. M. le ministre de l’instruction publique est bien obligeant; il ne s’est pas aperçu seulement qu’en parlant ainsi, il condamnait lui-même l’œuvre qu’il pressait le sénat d’adopter. Qu’est-ce, en effet, qu’une loi qui n’est pas claire et précise, surtout dans ses dispositions rigoureuses, qui a besoin d’être incessamment interprétée par une volonté administrative, où tout est à la discrétion de ceux qui sont chargés de l’exécution? M. le ministre de l’instruction publique eût-il d’ailleurs personnellement les meilleures intentions et fût-il une garantie vivante, peut-il se promettre de garder indéfiniment la direction de l’enseignement public? peut-il répondre de ses successeurs? M. Jules Simon le lui a dit avec raison : « On fait des lois parce qu’on ne veut pas appuyer l’avenir d’une nation sur quelque chose d’aussi fragile qu’un homme... Il nous faut prendre nos précautions contre les successeurs éventuels. » Et ces successeurs éventuels,