Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un peu trop, qu’il n’acquît un sentiment exagéré de son importance et que la modestie ne figurât pas parmi les vertus laïques qu’il est chargé d’enseigner à la jeunesse.

Chose curieuse, c’était là ce que redoutait un jacobin, qui n’était pas le premier venu, et il réussit à faire partager ses craintes à la convention, car cette grande assemblée vivait dans d’étranges alternatives de grâce et de péché, d’intempérance d’esprit et de haute sagesse, de déraison furieuse et de lumineux bon sens; elle était tout, sauf médiocre. Le comité d’instruction publique lui présentait un projet de loi qui ressemblait un peu à ceux qu’on fait aujourd’hui. Bouquier demandait au contraire l’absolue liberté d’enseignement, et Thibaudeau, qui l’appuyait, déclara « que le plan présenté par le comité lui paraissait plus propre à propager l’ignorance, l’erreur et les préjugés qu’à répandre la lumière, que l’enseignement libre offrait une foule d’avantages et prévenait tous les abus, que des instituteurs officiels formeraient une nouvelle espèce de clergé, que, n’étant plus stimulés par l’émulation qui naît de la concurrence et embrassant par une hiérarchie habilement combinée tous les âges, tous les sexes, tout le territoire de la république, ils deviendraient les régulateurs tout-puissans des mœurs, des goûts, des usages, qu’il fallait se garder d’étouffer l’essor du génie par des règlemens ou d’en ralentir les progrès en le mettant en tutelle sous la férule d’une corporation de pédagogues, à qui on donnerait pour ainsi dire le privilège exclusif de la pensée, la régie de l’esprit humain et l’administration de l’opinion. » Ainsi par la Thibaudeau, et la convention fut de son avis; le projet de Bouquier, amendé sur un point, devint le décret du 29 frimaire an II. A vrai dire, nous ne partageons pas toutes les appréhensions de Thibaudeau; nous ne craignons pas que nos instituteurs primaires s’érigent en petits potentats. Nous avons confiance dans leur judiciaire, nous comptons bien qu’ils ne se laisseront pas griser par l’encens un peu grossier qu’on leur prodigue, qu’ils apprendront à se défier des gens qui leur font une cour intéressée en leur parlant beaucoup de leurs droits et beaucoup moins de leurs devoirs.

Les voilà affranchis du contrôle du curé et, du même coup, on les décharge du soin de faire réciter le catéchisme à leurs élèves. Cette disposition de la loi nous paraît irréprochable. On a voulu dispenser l’instituteur ou de l’obligation d’être orthodoxe ou du devoir fort pénible et même répugnant d’enseigner d’office une religion à laquelle il ne croit peut-être qu’à moitié ou pas du tout. L’enseignement du dogme est l’affaire du curé, ou du pasteur, ou du rabbin, et l’école ne leur appartient pas; mais rien n’empêche qu’elle ne leur offre l’hospitalité, elle pourrait le faire sans se compromettre, il n’est voisin qui ne voisine. Le sénat avait introduit dans la loi un paragraphe portant que, « sur la demande des parens, le conseil départemental pourrait