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sage, fort raisonnable et vraiment nécessaire. Elle était réclamée depuis longtemps par des esprits judicieux, qui n’ont aucun goût pour les réformes hâtives ou aventureuses et qu’on n’accusa jamais de témérité. Dans une société démocratique, où tout le monde est électeur et exerce sa part de souveraineté, il est naturel et souhaitable que tout le monde sache lire, écrire, compter et apprenne même quelque chose de plus. Or il a été démontré par une longue expérience que, dans nos campagnes surtout, les sermons les plus éloquens, les exhortations les plus chaleureuses ne suffisent pas pour déterminer les pères de famille à envoyer leurs enfans à l’école. L’instituteur a beau se plaindre, ils font la sourde oreille. Pour avoir raison de leur égoïste résistance, il faut que la loi s’en mêle, et la loi ne prêche pas, n’exhorte pas, ne se plaint pas : elle enjoint, elle ordonne, elle menace, elle contraint.

A vrai dire, ces pères de famille récalcitrans, qui ne songent, vaille que vaille, qu’à tirer parti de leur enfant le plus tôt possible et qui laisseraient volontiers son esprit en friche, penseront peut-être que l’état entreprend sur leurs droits. Leur mauvaise humeur traitera le nouveau devoir qu’on veut leur imposer de dure et odieuse tyrannie. Ils n’en jugeront pas toujours de même-, laissons agir le temps, la réflexion, surtout l’habitude. Dans quelques-uns des pays nos voisins, l’instruction obligatoire est si bien entrée dans les mœurs que presque personne ne cherche plus à s’y soustraire; c’est une contrainte, une gêne avec laquelle on s’accoutume à compter. Au surplus, on ne saurait prétendre qu’il y ait rien de révolutionnaire dans une mesure dont plus d’une monarchie très bien assise a senti l’utilité. En France, ce ne sont pas les hommes de 89 ou de 91 qui l’ont inventée ou préconisée. Mirabeau entendait que l’école ne fût ni obligatoire ni gratuite; Condorcet se contentait de la vouloir gratuite. Par un contraste singulier, dès l’an 1560, les états-généraux d’Orléans réclamaient de François II « la levée d’une contribution sur les bénéfices ecclésiastiques pour raisonnablement stipendier des pédagogues et gens lettrés, en toutes villes et villages, pour l’instruction de la pauvre jeunesse du plat pays. » Ils demandaient aussi que « fussent tenus les pères et mères, à peine d’amende, à envoyer les dits enfans à l’école et à ce faire fussent contraints par les seigneurs et les juges ordinaires.» Si, en 1560, la noblesse française désirait que les pères et mères fussent contraints par autorité de justice de faire instruire leurs enfans, il est permis à nos démocraties modernes de considérer cette utile et louable pratique comme un article de première nécessité.

Dans tout pays où l’on rend obligatoire l’instruction primaire, le bon sens et l’équité exigent qu’on réduise, autant qu’il est possible, les charges imposées aux familles et le nombre des années que les enfans doivent consacrer exclusivement à leurs devoirs scolaires. Toute intempérance à cet égard serait fâcheuse. Partant, il convient que les programmes