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à notre avis, les principes fondamentaux sur lesquels repose le droit d’expulsion. C’est pourquoi le gouvernement actuel nous paraît avoir agi sagement en ne le bouleversant pas. Il a voulu seulement, dit l’exposé des motifs, « enlever à la pratique de ce droit ce qu’elle peut présenter d’excessif et d’arbitraire. » On conserve donc au ministre de l’intérieur la faculté d’expulser les étrangers condamnés par les tribunaux français et étrangers pour crimes ou délits de droit commun, parce que la France, comme le dit encore l’exposé des motifs, n’a aucun intérêt à ouvrir ses portes aux repris de justice. On garde même aux préfets des départemens-frontières les pouvoirs que la loi de 1849 leur conférait, et l’on eût commis une faute lourde en les leur retirant. Mais, dans les autres cas, l’expulsion ne pourrait plus être ordonnée qu’en vertu d’un décret rendu en conseil des ministres.

Cette partie du projet a été critiquée. Si tout le gouvernement, a-t-on dit, devient solidaire de semblables mesures, une crise ministérielle peut éclater à propos de chaque expulsion : peut-être vaut-il mieux n’en faire supporter la responsabilité que par un seul ministre. Mais c’est là, selon nous, une bonne garantie, heureusement empruntée à la législation belge. D’une part, si l’expulsion est urgente, le conseil des ministres peut être saisi très promptement et statuer de même; d’autre part, il vaut mieux qu’un chef de service ne puisse pas obtenir à la légère d’un ministre accablé sous le poids des travaux administratifs et politiques un ordre d’expulsion non motivé par un fait précis. D’ailleurs, en fait, dès qu’il s’agit d’une de ces expulsions retentissantes qui provoquent l’attention générale et soulèvent une polémique, le gouvernement entier s’en occupe et le conseil des ministres en délibère. La mesure d’expulsion se transforme alors, par la même force des choses, en une question de politique générale qui entraîne la responsabilité solidaire des ministres devant les chambres. Enfin l’exemple de nos voisins ne suffit-il pas à nous rassurer? Je ne sache pas, en effet, que l’application de ce système ait multiplié les crises ministérielles en Belgique.

La commission de la chambre des députés a, paraît-il, complété le projet du gouvernement par une disposition additionnelle ainsi conçue: « Toutefois, à l’égard de l’étranger qui aura obtenu l’autorisation d’établir son domicile en France ou qui y résidera d’une façon permanente depuis plus de trois ans, la mesure d’expulsion cessera d’avoir effet, après un délai de deux mois, si elle n’a pas été confirmée par décision du gouvernement, après avis du conseil d’état. » En ce qui touche les étrangers admis à établir leur domicile en France, cette partie du projet n’innove guère. Il importe assez peu que le gouvernement, s’il ne veut voir cesser dans les deux mois l’effet de l’expulsion, soit obligé de rétracter l’autorisation,