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a compromis la tranquillité publique. Mais, tandis que l’ordonnance de 1841 exigeait une décision du grand-duc, la loi de 1880 décide que les mesures d’expulsion « seront prises, après délibération du gouvernement en conseil, par arrêté du directeur général de la justice, » non susceptible de recours. La loi, comme en Belgique, est inapplicable « à l’individu né dans le grand-duché d’un individu qui y réside, tant que le délai d’option prévu par l’article 9 du code civil n’est pas expiré. » Mais ni le conseil d’état ni la chambre des députés n’ont entendu restreindre à un autre point de vue les droits du gouvernement.

La constitution fédérale suisse du 29 mai 1874 (art. 70) s’exprime en ces termes : « La confédération a le droit de renvoyer de son territoire les étrangers qui compromettent la sûreté intérieure de la Suisse. » Voilà une disposition très nette, qui semble donner au gouvernement fédéral un pouvoir illimité. Cependant, d’après M. Brocher, conseiller à la cour de cassation de Genève, les auteurs de la constitution n’auraient voulu, par là, que régler les droits de la confédération dans ses rapports avec les cantons. Celle-ci garde sa liberté d’action dans ses rapports avec les puissances étrangères, et c’est ainsi que la libre action du gouvernement suisse a été modifiée par divers traités conclus avec des nations amies : ces traités l’obligent à n’expulser les sujets de l’autre partie contractante qu’en lui faisant connaître le motif de l’expulsion.

On s’est demandé si l’article 70 de la constitution fédérale n’enlevait pas aux cantons le droit de renvoyer les étrangers. M. Brocher pense que ce droit reste intact « et se trouve régi par les règles du droit commun sur la matière. » A Genève, par exemple, les étrangers sont tenus de se procurer un permis de séjour ou de domicile, délivré par l’administration supérieure. En outre, d’après l’article 10 du nouveau code pénal genevois, « dans tous les cas où la loi prononce la peine de l’emprisonnement, le juge peut, en ce qui concerne les étrangers, convertir cette peine en une expulsion du canton d’une durée triple[1]. »

M. Clovis Hugues disait à la chambre des députés, le 24 février 1882 : « Lorsqu’on expulse de France un étranger sous un gouvernement qui s’intitule démocratique, lorsqu’on chasse un homme qui a cru à notre hospitalité, on touche à la liberté, on touche au principe même de la république. » Voilà pourtant un état républicain et très démocratique qui inscrit le droit d’expulsion dans sa loi constitutionnelle et se met à même de la pratiquer dans toute sa rigueur.

  1. L’article 44 de la constitution fédérale décide qu’aucun canton ne peut renvoyer de son territoire un de ses ressortissans. D’après la jurisprudence du tribunal fédéral, il ne pourrait pas davantage expulser un Suisse d’un autre canton.