Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-elle être faite? Je ne l’indiquerai pas. Mais, dans un temps prochain, nous déposerons ici un projet de modification qui, tout en laissant l’état armé comme il doit l’être dans des cas semblables, pourra réduire la part d’interprétation trop large qui reste au gouvernement. » Cette promesse a été tenue. Les ministres de l’intérieur et de la justice ont présenté à la chambre des députés un projet qui maintient le principe du droit à l’expulsion, mais en règle l’exercice.

Ce projet est défavorablement accueilli par un certain nombre d’hommes politiques et de publicistes. Ceux aux yeux desquels « il n’y a pas d’étrangers pour la France » trouvent mauvais que la France prétende garder le droit d’expulser les étrangers.

Il n’est donc pas sans intérêt d’examiner aujourd’hui, d’abord si ce droit est légitime, ensuite comment il est généralement compris et pratiqué. Après cette double étude, il sera plus facile de se placer sur le terrain de la législation française et des intérêts français.


I.

D’abord il ne faut pas confondre l’expulsion et l’extradition. Quand un état livre un individu accusé ou reconnu coupable d’une infraction commise hors de son territoire à un autre état qui le réclame et qui est compétent pour le juger et le punir, il extrade. L’extradition suppose donc nécessairement un contrat entre deux puissances, dont l’une réclame la remise du fugitif et dont l’autre s’oblige à le livrer.

Au contraire, la nation qui expulse un étranger, agit spontanément. L’expulsion n’implique pas le concours actif d’une autre puissance. C’est ce qu’a très bien expliqué, dans la séance du 24 février 1882, le président du conseil, répondant à M. Clovis Hugues. Sans doute, d’après des informations particulières, quelquefois par les conversations amicales engagées avec le représentant d’une puissance, les chefs de notre gouvernement peuvent apprendre que telle ou telle personne est, à raison des intelligences qu’elle entretient au dehors, une cause de préoccupation pour cette puissance : quand nous sommes ainsi avisés, poursuivait M. de Freycinet, nous prenons des mesures en conséquence. Mais l’état qui expulse n’est lié par aucun contrat préalable et reste, au demeurant, maître de ses actions. Lorsqu’il a été sondé par une puissance étrangère, il apprécie dans la plénitude de son libre arbitre s’il lui convient ou non d’obtempérer au désir qu’elle manifeste. Il expulse ou n’expulse pas., à sa guise, sans violer un engagement international. Il peut expulser à l’insu de la nation à laquelle appartient cet étranger suspect, au besoin malgré elle.