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de 1830 fut consacré aux apprêts du combat. La révision des listes électorales sembla dès le début l’occasion d’une première escarmouche. Sur l’opinion des nouveaux inscrits nul n’avait de doute. Des comités se formèrent pour assister les électeurs : pendant quelques semaines, M. Dufaure se réunissait chaque soir à ses amis, recevant toutes les réclamations, « écrivant à tous les électeurs, les relançant, mettant leurs pièces en règle, rédigeant leurs mémoires, et, le jour, pressé de consultations, partout, dans son cabinet et au barreau, dans les rues et sur les places publiques. » Tant d’efforts furent couronnés de succès ; à Bordeaux comme dans le reste de la France, une majorité dévouée à la monarchie constitutionnelle se dressa en face d’un ministère résolu à toutes les violences pour déchirer la charte.

Toujours prêt pour la résistance légale, M. Dufaure, quelle que fût l’ardeur de ses convictions, n’admettait pas l’emploi de la force brutale. Il ne prit aucune part aux troubles et s’efforça de prévenir une collision. « Je t’écris plus librement, mande-t-il à son père le 2 août, je me crois assuré qu’on n’ouvrira plus les lettres à la poste. « Il raconte de quelle exaspération avait été suivie la nouvelle, puis l’arrivée du texte des ordonnances, comment le 28 le préfet fit saisir les presses des journaux libéraux, et quelle irritation provoqua cet acte dans la matinée du 30. « L’anxiété était générale, lorsque, vers la fin du jour, parvint le courrier apportant un seul journal, le Messager des chambres : le sang coulait à Paris, les rues étaient jonchées de cadavres, le roi et ses ministres ordonnaient froidement ce massacre de leurs concitoyens. » À cette lecture, « les esprits s’échauffent, on se transporte à la préfecture ; on en brise les portes ; on jette tous les meubles par les fenêtres ; on en arrache le préfet, qui n’échappe à la mort que par miracle et par l’humanité de quelques libéraux, car pas un des hommes de son parti ne s’est présenté pour lui épargner quelques momens de souffrance. » Sur aucun point, il ne se produisit de résistance, et le soir même tout semblait achevé ; toutefois M. Dufaure n’était pas d’humeur à voir l’émeute maîtresse de la ville ; il souhaitait le châtiment des auteurs du coup d’état, mais il n’admettait pas que l’anarchie lui succédât. « Dans la nuit, écrit-il, plus effrayés de l’ardeur du peuple que du pouvoir méprisé dont nous nous sentions débarrassés, nous demandons à la mairie d’autoriser la formation de la garde nationale. Deux fois on nous refuse ; ce ne fut que le 31 à dix heures qu’on y consentit. Nous nous étions bien passés de ce consentement. Les compagnies étaient déjà organisées ; à une heure, notre garde nationale occupait tous les postes importans. Elle a dissipé peu à peu tous les rassemblemens populaires. »