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réserves sur le caractère. Bien que personne n’ignorât la ferme détermination du jeune avocat de ne pas entrer dans la magistrature, le nom de Jules Dufaure fut de nouveau soumis à la cour. La discussion fut chaude et toute politique ; malgré l’opposition la plus vive des royalistes, la majorité l’emporta contre eux, à la grande joie des libéraux.

Si M. Dufaure paraissait absorbé par les affaires, sa pensée, quand il était en dehors du palais de justice, retrouvait toute l’ardeur qu’il avait montrée à Paris. Il se tenait fort au courant des livres nouveaux, les annonçait et les envoyait à son père, exprimant son sentiment avec autant de liberté que de justesse ; mais le temps de lire lui manquait bien plus qu’à Paris. Quand arrivait le mois de juillet, la fatigue l’envahissait. « Les procès, écrit-il, me répugnent. Je sens le besoin d’aller me rafraîchir dans des méditations plus libres et plus élevées. » Dans les dernières semaines du séjour à Bordeaux, il vivait dans cette atmosphère idéale de projets qui était pour lui le plus doux des repos. « Je n’ai plus que six causes, annonce-t-il avec joie ; je n’emporterai pas mes livres de droit, mais mon petit code. J’ai invité, je te l’avoue, d’autres amis à faire avec moi le voyage de Saintonge : Cicéron, Tacite, Addison et le Tasse, Montesquieu, Byron et M. Say m’ont promis d’être du voyage. En les réunissant tous autour de moi, je n’oublierai pas que ce sont des puissances jalouses qui ne souffriraient pas que je les entretinsse à la fois ; je tâcherai de partager mon temps de manière à en donner une partie à chacun d’eux en particulier, à recueillir séparément et à conserver sans confusion les idées que leur conversation pourra me fournir. Mes compagnons de voyage trouvés, il ne me reste qu’à partir. »

Pendant les séjours à Vizelles, il s’occupait plus qu’à Bordeaux des affaires publiques. La restauration, rejetée dans la voie de la compression, avait rompu avec les amis de M. Royer-Collard qui avaient fait l’honneur et la force des années précédentes ; elle marchait vers M. de Villèle, dont la rare habileté dénuée de scrupules devait prolonger le ministère sous deux règnes. Le mécontentement était général. M. Dufaure fit, en août 1822, un petit voyage sur les côtes de la Charente-Inférieure. Il rencontra partout le même sentiment. « Aux tables d’hôte, écrit-il à un de ses confrères de Bordeaux, comme aux repas de famille et partout, les conversations n’étaient que des plaintes et des regrets. Tous ceux à qui nous avons parlé, avocats ou militaires, marins ou négocians, riches ou misérables, jeunes ou vieillards, tous s’accordaient contre notre gouvernement actuel, et ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que leur haine les rejetait dans les rêves du despotisme, qui leur donnait de l’ordre,