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se lancer dans quelque échauffourée ? Dans chaque lettre, il les rassure, promet de ne se mêler à aucun trouble, recommande à son père de ne pas faire allusion à la politique en lui répondant, afin que leur correspondance parvienne, laisse entendre de quelles inquiétudes son âme est agitée, parle des discours de Royer-Collard qui le transportent et des rassemblemens qui entourent le Palais-Bourbon, pour défendre les députés libéraux. Enfin, après un mois d’émeutes presque quotidiennes, les esprits se calmèrent. Si sa famille se rassura vite sur les événemens de Paris, elle n’était pas sans préoccupations au sujet de l’accueil que le libéral du quartier latin trouverait dans la ville de Bordeaux, dont les opinions royalistes étaient demeurées si vives. On chercha à le prévenir. « Je me doutais bien, répondit-il, que les partis étaient très exaltés à Bordeaux. Lorsque le gouvernement lui-même lève l’étendard de la révolte et appelle les orages, comment pourrait-il y avoir du calme quelque part ? Je sais aussi la difficulté qu’il y a, dans une ville aussi divisée que Bordeaux, d’y montrer un caractère modéré sans le faire croire servile. Cela sera difficile, surtout pour moi, qui ne dois y voir que des personnes dont je ne partage pas l’opinion, et qui neveux ni changer ni déguiser la mienne. » Cette ferme déclaration d’indépendance n’était faite ni pour surprendre, ni pour choquer son père, avec lequel il s’entendait si bien. « En Saintonge, s’empressait-il d’ajouter, je n’aurai pas besoin de cacher mes opinions. » Puis il revient naturellement sur les avantages de Paris : « Il n’existe pas une ville où il y ait plus de modération ; la tolérance y est générale ; on vit avec les siens ; rien n’apaise l’âme comme l’œil de l’homme ; tout le monde a l’air si affairé qu’on souffre beaucoup d’hommes sans opinion ; ils servent de contrepoids, puis les sujets de discussion varient sans cesse entre libéraux ou ultras ; on se dispute sur deux acteurs, deux musiciens. Je ne parlerai de rien, conclut-il, cela m’évitera les discussions ; ou si on me parle Lainé, je répondrai affaires locales. »

Tels étaient les regrets au milieu desquels s’acheva le séjour à Paris du jeune docteur en droit. Il terminait en même temps que sa thèse les ballots qui contenaient ses chers livres, précieux et pesant trésor, que les transports lents et coûteux du roulage devaient conduire à Bordeaux. Le 12 août 1820, il quittait Paris en se promettant d’y revenir souvent revoir ses camarades et, surtout, rechercher dans ce grand mouvement d’esprits des forces et des idées. Il ne devait y rentrer que quatorze ans plus tard pour obéir au mandat des électeurs de Saintes.