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leur solitude de Vizelles, à la joie de les attirer au chef-lieu de la Gironde, qui leur semblait une capitale. D’ailleurs l’année 1820 lui apportait des tristesses. M. Villemain dont les complaisances pour M. Decazes l’avaient plus d’une fois inquiété, venait de cesser son cours. « Nous perdons M. Villemain, écrit-il ; indifférent à nos applaudissemens, il tente une nouvelle gloire ; conseiller ou courtisan, il va dans les chambres ou dans les antichambres oublier la jeunesse, » et quelques jours plus tard : « Je continuerai seul mes travaux ; l’ambition m’a enlevé le professeur que j’aimais ; l’esprit de parti lui a donné un successeur que je ne suivrai pas. » Pendant que la Sorbonne se fermait pour lui, l’horizon politique se chargeait de nuages ; aux tentatives de réaction timide avait succédé, sous le coup de l’assassinat du duc de Berry, un mouvement rétrograde qui avait donné le pouvoir à la droite et qui menaçait d’emporter toutes les mesures de sage politique prises depuis quelques années. « Dans les circonstances actuelles, écrit-il en mars 1820, il n’y a pas une place d’armes où il y ait plus d’effervescence et d’irritation que dans la jeunesse. Nous avons assez vu Bonaparte pour être échauffé des rayons de sa gloire, mais pas assez pour prendre sous lui l’habitude de l’obéissance et le pli de l’esclavage. Depuis qu’il est tombé, la liberté revenue avec la charte a tenu nos esprits dans une perpétuelle agitation. Nous avons perfectionné dans nos esprits tout ce qui était encore incomplet ; nous nous sommes emparés de cet avenir que nous avions créé. Lorsqu’on veut nous faire rétrograder, lorsqu’on flétrit nos illusions, lorsqu’on détruit nos rêves, pouvons-nous le voir sans regret ? sans désespoir ? sans indignation ? Voilà l’esprit de presque toute la jeunesse française. »

Quel trait de lumière projeté sur l’opinion des jeunes gens au printemps de 1820 ! Quelles explications des colères, des excès, des imprudences qui allaient jeter les plus ardens dans la voie coupable des conspirations ! Jules Dufaure était trop maître de lui pour se mêler à de telles violences. « Pour moi, ajoute-t-il, habitué à rester en moi-même, je veux y rester encore. Je méprise les attaques contre cette noble liberté, le premier besoin de l’homme. Comme elle est dans la nature, je ne crois pas que des hommes puissent la détruire. J’espère qu’un jour qui n’est pas loin, elle prévaudra sur eux et, comme mon imagination avait réalisé son existence, elle réalise maintenant son triomphe. Tu vois qu’en me tenant dans cette sphère, les lettres de cachet ne viendront pas m’atteindre. » Malgré cette belle philosophie, il y a des jours où il éclate. « Il me semble que, si j’étais à la chambre, je ne me concevrais pas muet. Je croirais toujours que la tribune est à moi par droit de colère. » Ces ardeurs inquiètent les siens. Ne va-t-il pas