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que le Moniteur est le meilleur livre qui paraisse. Lainé, Royer-Collard, Manuel sont des modèles. » Le matin, il relit les discussions de la constituante dans l’exemplaire du Moniteur, dont il rassemble pour son père les numéros épars ; il assiste aux cours de l’École de droit et revient par la chambre des députés, où il se rendait aussi souvent que les députés, qu’il rencontrait chez son oncle, lui en fournissaient l’occasion.

C’est au milieu de cette vie si intelligente et si pleine que s’écoula l’année 1819. Elle passa vite : entre la Sorbonne, la Faculté de droit et le Palais de justice, il ne connut pas un instant l’ennui. La conférence de droit était devenue sa principale occupation ; il y rencontrait de jeunes hommes d’esprit et de talent comme Chaix d’Est-Ange et Plougoulm, des intelligences ouvertes comme M. Vivien, auquel un plein accord de sentimens et d’idées devait l’attacher intimement. L’importance des débats avait répandu au loin la réputation de la conférence ; l’émulation y était fort vive. Les étudians en droit cherchaient à y être introduits. Un concours fut établi entre les candidats et plus d’une fois Jules Dufaure en présida les opérations. Chaque mois, une commission de quatre membres était élue pour le choix des causes. Il cherchait à être élu le premier. Il y parvenait presque toujours, et cette sanction de ses efforts était sa plus chère récompense.

« Je m’intéresse autant à ces élections, écrit-il, que je m’intéressais aux places quand j’étais au collège. Je sens que l’émulation est de tous les âges et toujours sous les mêmes formes. Je sens que, si j’étais jamais député, j’aspirerais à la place de président, comme j’aspirais à celle de premier dans mes classes, comme j’aspire à celle de premier membre de la commission des causes. » Il sentait bouillonner en lui-même une puissance de travail, il faut bien le dire, une ardeur d’ambition qui embrassait tout et que sa volonté restreignait aux deux buts qu’il s’était assignés : atteindre à l’éloquence et adoucir la vieillesse de ses parens. Pour toucher à ce terme idéal de tous ses efforts, rien ne lui coûte ; aucun labeur n’est trop aride. À chacun des sacrifices que son séjour à Paris arrache à sa famille, il renouvelle les regrets et les promesses d’avenir : il hésite à faire son doctorat de peur de prolonger les dépenses ; il n’achètera pas tel ouvrage de crainte de gêner son père ; il cherchera des causes dès qu’il sera licencié pour diminuer le poids toujours trop lourd de sa modeste pension. Cependant quitter Paris sans être docteur, ce serait folie. Il faudrait renoncer à un grand barreau. Il ne pourrait pas, il l’avoue, s’établir à Saintes ; il serait près des siens, mais la scène serait trop étroite, le tribunal sans importance ; il a longtemps hésité, mais il croit que le choix de