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Vers la fin d’août 1818, Jules Dufaure fut invité par la famille Boislandry dans une propriété qu’elle possédait sur le plateau de la Brie ; il était fatigué par son second examen de droit, et avant de reprendre l’étude du troisième, il fut convenu qu’il se reposerait pendant quelques jours. De son côté, s’il se souciait peu du repos, il pensait beaucoup aux voisins de son hôte. La Grange, la terre de M. de Lafayette, n’était-elle pas à peu de distance ? Ne verrait-il pas le général qui rappelait tant de souvenirs à son imagination ? Il eut la déception de ne pas le rencontrer, mais il vit ses filles, son fils George, il entendit parler du mouvement de cette demeure, où de Paris, de la France et de l’étranger accouraient les représentans les plus distingués du parti libéral, où étaient accueillis en ce moment lady Morgan, dont la brillante imagination charmait l’Angleterre, et M. Auguste de Staël, paré de l’éclat de son nom et couvert encore d’un deuil que portaient avec lui tous les amis des lettres et tous les adversaires du despotisme impérial. La correspondance apportait dans la calme retraite de Vizelles l’écho de ces renommées. Le jeune étudiant qui venait de lire avec admiration les Considérations sur la révolution française, se laisse aller à son enthousiasme : « On s’enflamme, dit-il, on s’oublie si facilement à l’aspect de ces noms-là ! On se sent bien en peine d’ordonner ses idées ! » Jules Dufaure voulait demeurer maître de sa pensée ; il s’arracha après trois semaines d’un séjour où on aurait voulu le retenir jusqu’à la fin des vacances. « L’émulation m’agite, l’inaction me pèse. Je n’ai pas apporté mes livres de droit romain, ni aucun autre que mon code pour m’assurer, dans l’impossibilité de les étudier, un garant de mon prompt retour. » Il avait hâte surtout de retrouver sa conférence, à laquelle il venait de donner un si mauvais exemple. Aussi les lettres à son père sont-elles pleines du récit des plaidoiries. Il est toujours prêt, non-seulement à défendre ses causes, mais à remplacer au dernier moment les absens. En même temps, comme il faut occuper les loisirs de vacances, il reprend l’anglais et sans négliger la musique, commence sans maître l’italien, suivant le désir de son père, afin de lire le Tasse, l’Arioste et Beccaria. Il cherche un travail qui l’occupe et l’absorbe. Son père l’a détourné d’un ouvrage ; du moins ne pourrait-il pas se consacrer à quelque éloge académique ? On a proposé Rollin, mais il a besoin de se sentir attiré par le sujet. Que ne propose-t-on Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre ou Mme de Staël ? Il concourrait et travaillerait à l’abri de tout échec public.

Au milieu de cette fermentation intellectuelle, nous avons vu que la politique n’avait pas dès le début occupé son esprit. Il en parle d’abord d’un air distrait. S’il se rend aux audiences et s’il suit les débats d’un procès de presse, c’est pour entendre tel avocat