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il avait entendu trop peu de temps dans la chaire de rhétorique. Les premières leçons le trouvèrent aussi enthousiaste. Avec ce cours avait reparu la joie de sa vie. Pourvu qu’un si brillant professeur ne soit pas de nouveau enlevé à la jeunesse ! « Ses talens, disait-il, l’ont lancé dans les grandeurs et nous craignons chaque jour de le perdre ! Ce serait une perte pour un siècle où le mauvais goût s’avance à grands pas et le talent s’évanouit peu à peu. Lorsque nous avons des Stace, des Claudien sans l’ombre d’un Tacite, ce serait un grand malheur de perdre notre Quintilien ! » Chaque matin, avant le cours de droit, il assistait à une leçon de la faculté des lettres, suivant les cours d’éloquence et de poésie latines, puis le cours d’histoire de Lacretelle, et revenait toujours avec un nouveau bonheur entendre celui qui, chargé de professer l’éloquence française, la personnifiait, suivant lui, mieux que personne. M. Villemain montait à neuf heures dans sa chaire ; longtemps avant huit heures, la salle était pleine ; en hiver, les auditeurs arrivaient au crépuscule. Aussi quels frémissemens dans les rangs de la jeunesse ! quelle impatience et, à l’entrée du professeur, quels applaudissemens ! Le talent de l’orateur et le feu des auditeurs s’enflammaient l’un par l’autre. Les acclamations ne suffisaient pas ; à la fin, on votait l’impression du discours.

Aussi lorsque M. Dufaure écrit à son fils qu’il est temps d’étudier la procédure, qu’il doit entrer chez un avoué, il faut lire les supplications du jeune homme, les raisons qu’il accumule, les plaidoyers écrits qu’il adresse à son père. Ne trouve-t-on pas le secret de sa résistance dans ce dernier mot d’une lettre ? « Je ne trouve pas d’avoué disposé à prendre un étudiant en droit qui s’absente ; faut-il donc cesser de suivre mes cours ? » Son père cédait et lui permettait d’aller au cours de M. Villemain. « Je me reprocherais toujours, lui écrit-il peu après, d’avoir négligé un modèle d’éloquence tel que je n’en retrouverai peut-être nulle part. Tu trouveras sans doute que c’est un éloge qui sent l’exagération ; mais, en vérité, je ne crois pas qu’en sortant de son cours, il y ait beaucoup de ses auditeurs qui soient d’humeur à le lui refuser. »

La valeur de l’enseignement se mesure non moins à l’admiration qu’il inspire qu’à l’activité intellectuelle dont il surexcite les ressorts. C’était un des traits communs des leçons que la restauration, a entendues de provoquer les travaux des penseurs, des historiens et des lettrés. Un jour, avant l’une des séances de la chambre, le général Foy avait été entendre M. Villemain ; il sortit charmé du professeur et enchanté de la jeunesse, dont il avait remarqué l’attention studieuse. « Je les ai vus, disait-il à M. Villemain. Je suis sûr que bien des jeunes gens ne sortent de vos cours publics que pour aller aux bibliothèques demander de vieux livres et s’y accouder