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de Juilly. Cet établissement, rattaché à l’état par des liens qui devaient en faire un des collèges de l’Université, eut, dès son ouverture, un grand succès dans la contrée. Il y vint non-seulement des enfans de la Touraine, mais des meilleures familles de Bordeaux et même de Paris. À la fin d’octobre 1810, M. Dufaure partit de Vizelles avec son fils ; ils mirent quatre jours à franchir la distance, c’était un long voyage, d’autant plus pénible que, par économie, on ne prit pas des moyens de transport rapides ; aussi laissa-t-il une impression ineffaçable sur l’esprit de l’enfant, qui, le lendemain de l’arrivée, dut se séparer de son père pour de longues années. M. Dufaure reprit le chemin de Saintonge, non sans tristesse, car le sacrifice qu’il faisait l’obligeait, ainsi que sa femme, à de dures privations ; ils allaient l’un et l’autre se confiner à Vizelles pour n’en plus sortir, renonçant aux séjours à Bordeaux et transformant les jouissances modestes de leur vie en rêves d’avenir pour l’enfant qui faisait déjà leur orgueil et sur lequel ils avaient concentré leurs espérances.

Laissé seul à Vendôme, l’écolier de quatrième travailla vaillamment et ne tarda pas à être aussi estimé de ses maîtres que redouté de ses rivaux. Rien ne le décourageait : ni les études les plus arides, ni cette longue année passée sans qu’un ami le fit sortir, sans qu’un correspondant lui offrît en un jour de fête l’image de la famille absente, ni l’approche des vacances sans voyage, ni même le départ de tous ses camarades qui fait du signal de la liberté une heure de tristesse. La lecture le consolait de sa solitude ; il s’y absorbait avec passion et il y amassait les trésors dont il sut user dans les classes supérieures. La poésie tenait alors une grande place dans l’étude des lettres. En troisième, la poésie latine ; en seconde, la poésie légère ; en rhétorique, la poésie héroïque étaient l’objet de devoirs fréquens auxquels les élèves mettaient d’autant plus de soins que, dans les classes supérieures, une académie formée des sujets les plus distingués consacrait le succès des lauréats. Jules Dufaure réservait pour les séances hebdomadaires ses meilleures compositions, et quelques-unes d’entre elles furent jugées dignes d’être lues publiquement avant la distribution des prix comme témoignage du niveau des études. Ses goûts sérieux et son horreur de tout ce qui était futile se manifestèrent de bonne heure : lui, dont les vers héroïques étaient cités, n’eut pas même un accessit de poésie légère, et son maître de danse, après de longs efforts, déclara qu’on ne pourrait rien faire de cet élève. Heureusement, le professeur d’éloquence française n’était pas de cet avis : aussi trouvons-nous à la fin de l’année de rhétorique, dans la liste de la distribution de 1814, une mention dont tous les termes ressemblent à une prédiction : 1er  prix d’éloquence française. Dufaure (Jules), académicien.

À Vendôme, comme partout, l’élève avait rejoint ses maîtres. Il