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physique l’aurait en tout cas empêché de prononcer, même s’il en eût la force, mais qu’il adressa du fond de son cabinet de travail à ses amis et à ses ennemis et qui eut un retentissement profond dans les esprits. On eut tort, selon lui, d’y voir autre choses qu’une protestation au nom de la justice égale pour tous. Sur ce seul point il se sépara de ses amis politiques. Sur le fond des choses, son opinion ne parait pas sensiblement modifiée ; du haut de la conception positiviste, il juge avec la même sévérité qu’autrefois ce qu’il appelle « les théologies. » Cependant on put s’y tromper. « Quand on le vit prendre parti historiquement pour le catholicisme durant le moyen âge, plusieurs s’imaginèrent qu’il gardait au fond du cœur des attachemens secrets pour des doctrines dont il faisait l’éloge, — l’éloge relatif, bien entendu. Et, de même, la part qu’il prit aux débats sur l’instruction publique, loin de contredire les tendances qu’on lui supposait, sembla les confirmer. Il s’était montré partisan résolu d’une politique qui tiendrait plus de compte que les républicains ne font d’ordinaire du catholicisme de la majorité et qui ménagerait davantage les intérêts[1]. » Cela suffit pour inspirer aux uns des espérances, aux autres des alarmes que M. Littré déclara tout à fait excessives et peu justifiées.

Pour se rendre un compte exact de l’état de son esprit à cette date si voisine des derniers jours, il faut lire une sorte de testament philosophique, publié en 1880, et qui porte ce titre mélancolique et grave : Pour la dernière fois. « S’il est des questions disait-il, sur lesquelles quelque occasion s’offre de revenir, il faut bien s’avouer, quand on est entré comme moi dans la quatre-vingtième année, non sans un pénible cortège de désordres pathologiques, il faut s’avouer que l’on y revient pour la dernière fois. Plus tard, l’occasion, ou le temps, ou la volonté manqueront. Les questions dont je parle sont celles sur lesquelles Claudien a douté en beaux vers si

Curarent superi terras an nullus inesset
Rector, et incerto fluerent mortalia casu. »


M. Littré rappelle sommairement les crises de sa vie philosophique. Au début, ses croyances étaient celles du déisme : Dieu, l’âme et l’immortalité. Il les avait puisées, sans enseignement dogmatique, dans le milieu qui l’entourait. Lui aussi, il avait eu, comme Jouffroy, dans sa première jeunesse, une nuit fatidique qui lui ravit ses croyances déistes, comme elle enleva à Jouffroy sa foi religieuse. Un soir, dans sa petite chambre, où, sorti du collège, il commençait

  1. Revue de philosophie positive, mai-juin 1880.