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Il lui était arrivé, vers 1848, dans l’enivrement de la révolution de février et sous la forte impression des idées de Comte, de croire que ces coups d’état populaires annonçaient une ère nouvelle et que le monde touchait à sa période positive, celle où, le savoir étant coordonné philosophiquement, les sociétés allaient y prendre leur règle de penser et d’agir. Il ne s’agissait plus que de préparer la transition. Les traits de cette réforme, qui devait nous amener à l’état définitif, consistaient à restreindre autant que possible le pouvoir parlementaire, en le réduisant aux attributions financières, à restreindre dans la même mesure le suffrage universel, en attendant que le régime spirituel permît de s’en passer, à créer enfin un pouvoir central, composé de trois grands fonctionnaires qui auraient entre les mains le pouvoir exécutif, et nommé par le peuple de Paris. « C’est ainsi, disait-il, que les prolétaires arriveront à mettre directement la main au gouvernement. Cela importe à la terminaison de la longue révolution occidentale. C’est pour avoir la liberté que le positivisme supprimera les budgets ecclésiastique et universitaire, ouvrira les clubs et ôtera les entraves de la presse ; c’est pour avoir l’ordre qu’il attribuera la prépondérance à Paris, au pouvoir central et aux prolétaires[1]... Paris a toujours défait et refait les gouvernemens, et tant que la France restera la France, il en sera ainsi. La force des choses lui a constamment attribué, dans nos péripéties révolutionnaires, la nomination ou la sanction des chefs qui ont gouverné. Qu’y a-t-il à faire pour la politique positive, sinon de reconnaître cette inévitable attribution et de la régulariser[2]?.. Paris, appelé à cette grande fonction électorale, ne tarderait pas à confier l’autorité à des ouvriers ; mais, en ceci encore, il ne ferait qu’obéir à des tendances salutaires. Le prolétariat arrive de toutes parts à la compétition du pouvoir; et comme les instincts progressifs y sont plus puissans qu’ailleurs, il y arrive dans des conditions intellectuelles bien préférables à celles qu’y apportent les autres classes[3]. » Le gouvernement de Paris et la suprématie du prolétariat, voilà tout son programme. Ce n’était pas seulement la cause des droits du prolétaire qu’il plaidait, ce qui est l’essence de la démocratie; c’était la thèse de ses privilèges nécessaires, ce qui devait rétablir une autre aristocratie, une aristocratie à rebours dans l’état, l’aristocratie de l’ouvrier de Paris maître de la France.

Ces idées étaient d’Auguste Comte ; mais M. Littré, qui avait été

  1. Conservation, Révolution, Positivisme, 1re édition, préface supprimée dans la 2e édition, p. 22.
  2. Ibid., 2e édition, p. 243.
  3. Ibid., 1re édition, p. 23.