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nettement dans la préface de son premier volume : « Les miracles sont de ces choses qui n’arrivent jamais. Les gens crédules seuls croient en voir, on n’en peut citer un seul qui se soit passé devant des témoins capables de le constater… Nous repoussons le surnaturel par la même raison qui nous fait repousser l’existence des centaures et des hippogriffes : cette raison, c’est qu’on n’en a jamais vu. » Voilà qui est aussi formel que possible. Mais si le miracle n’est pas vrai, s’ensuit-il que ceux qui le rapportent, qui l’attestent, qui s’en rendent les garans soient nécessairement des menteurs ? Il ne le pense pas ; les explications brutales du XVIIIe siècle, comme il les appelle, lui répugnent. Où l’on ne voyait qu’une fraude grossière il trouve le plus souvent une simple illusion. Il montre que, dans les milieux bien préparés, les légendes naissent toutes seules, que tout le monde y aide par une complaisance involontaire ou une complicité tacite, en sorte qu’on devient dupe et trompeur à la fois, sans le savoir. Il croit même qu’on peut quelquefois retrouver le fait réel qui a été l’origine de la légende, et qu’il est possible d’indiquer de quelle manière et par quels procédés l’imagination l’a transformé jusqu’à en faire un miracle. Ces idées, en principe, sont justes, et il n’y a rien à y répondre tant qu’on reste dans les généralités. C’est l’application qui en est difficile. Lorsqu’on essaie de dépouiller une légende de tous ses incidens merveilleux et de la ramener au fait souvent fort vulgaire qui lui a servi de prétexte, on tente une œuvre très délicate. Cette entreprise a jusqu’ici assez peu réussi aux historiens, et l’on a trouvé que M. Renan n’y était pas beaucoup plus heureux que les autres. Quelques-unes de ses tentatives en ce genre ont soulevé d’assez vives critiques ; mais il est sûr qu’heureuses ou non, elles prouvent au moins qu’il ne consent pas à ne voir dans les miracles que des mystifications habiles, et des menteurs impudens dans ceux qui les racontent.

À propos des textes qui nous ont transmis l’histoire du christianisme primitif, et qui sont le fond de son récit, sa façon de procéder est la même : il cherche à se préserver de toutes les exagérations, il veut garder une situation intermédiaire entre les partis extrêmes. Il va sans dire qu’il ne regarde pas les Évangiles comme inspirés et infaillibles. Ce sont pour lui des livres comme les autres, et il croit devoir leur appliquer les règles de la critique commune. Il est à leur égard comme sont les arabisans en présence du Coran, ou les indianistes devant les Védas. Il se garde d’accepter ou de repousser tout en bloc, il choisit ; appliquant à ces textes discutés les procédés scientifiques ordinaires, il travaille à y distinguer le vrai du faux ; « il essaie d’en tirer quelque chose d’historique par de délicates approximations. » Quand il arrive aux écrits apostoliques, la grande question de l’authenticité de certaines épîtres de