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coup de baguette la reine et toute sa cour au château du comte Ulric ; mais comme il avait vidé ce troisième acte, naguère le deuxième, des scènes qui se passaient à la ville ou bien au camp, il le. rembourra d’un nouveau rôle, celui de Kalékairi. Ce personnage bizarre, mais non original, d’une turquerie qui sent bien sa pacotille romantique, acheva de détraquer, d’interrompre et d’alanguir étrangement la dernière partie de ce fabliau dialogué, si français d’esprit malgré les noms bohémiens et les costumes des héros. Ainsi fut menée à bien ou plutôt à mal Barberine, comédie régulière en trois actes, inférieure assurément à cette brève et simplette et libre petite pièce : la Quenouille de Barberine.

Mais, dira-t-on, si l’ouvrage nous déplaît, ce n’est pas parce que l’auteur cette fois a voulu « faire du théâtre, » c’est parce qu’il a fait de mauvais théâtre, et qu’en voulant « arranger » sa pièce, il l’a plutôt dérangée ! Soit ! j’y consens, et j’accorderai que cette comédie ainsi allongée paraît longue en maint endroit ; j’accorderai que ce n’est pas un chef-d’œuvre, — à condition toutefois qu’on me la passe pour une œuvre aimable et même tout à fait délicieuse en plusieurs points. La scène des adieux au premier acte, certaines répliques du comte et aussi de la reine au deuxième, tout le rôle de Barberine au troisième et sa lettre à la fin, sont des morceaux d’un art achevé ou plutôt d’une poésie naturellement exquise, et je vois peu de pièces où j’en trouve de tels, même au prix de longueurs pires que celles-ci. Enfin, même les scènes les plus languissantes, comme celles d’Uladislas et de Rosemberg, où l’auteur a prodigué imprudemment l’amphigouri, même ces scènes-là sont agréables, au moins à l’oreille. Que d’ouvrages, hélas ! représentés sur nos théâtres, où l’auteur, comptant sur d’autres avantages, n’a pas pensé à nous ménager ce futile agrément !

J’entends bien, d’ailleurs, que les partisans déterminés du théâtre, tel que le comprend aujourd’hui la majorité des Français, ne se tiennent pas pour battus et nous refusent toute concession. — « Si Barberine est de mauvais théâtre et nous a déplu par là, rien ne prouve que la Quenouille de Barberine, qui n’est pas du théâtre, nous eût agréé davantage ; et nous ne voyons pas que, dans la seconde version, tout ce qui provient de la première soit fort préférable au reste. » — Si vous ne le voyez pas, que vous dirai-je ? . tant pis pour vous ! C’est que vous ne consentez, par une fâcheuse habitude, à vous plaire au théâtre que dans de certaines conditions. Ajoutons, pour être juste, qu’à la Comédie-Française, il semble à présent que rien ne puisse plus être frivole. La Quenouille de Barberine est, dans la Revue, en 1835, le badinage d’un jeune poète ; en 1882, chez nos sociétaires, Barberine est un ouvrage qu’on attend avec solennité. Votre déconvenue a cette excuse ; mais je ne saurais en vérité lui accorder que celle-là. Vous vous plaignez que Barberine n’ait pas d’intrigue, et vous grondez Musset de n’avoir pas