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nécessaires et que nul génie ne pourra jamais rompre, — mais encore que certaines formules d’intrigue, perfectionnées à l’envi dans la première moitié de ce siècle par les compagnons de M. Scribe et par les fabricans de mélodrames, ont servi longtemps et peuvent servir aujourd’hui même au plaisir du public, qu’elles y ont plus d’une fois suffi et qu’elles y peuvent contribuer encore ; que la plupart des Français ont à présent coutume de s’amuser et de s’émouvoir selon ces formules, et qu’il faut à un auteur, pour s’en dispenser avec succès, beaucoup d’imprudence, de talent et de bonheur. C’est de bonne foi que ces gens s’ennuient à Barberine : une des raisons de leur ennui, c’est peut-être en effet, que l’habitude de certains procédés a restreint pour eux les chances de plaisir au théâtre. Hé donc ! je vous le demande, faut-il déclarer que c’est un bien ? Non assurément ! Si Barberine n’est pas « du théâtre, » il vaudrait mieux cependant qu’on y trouvât son agrément comme au Demi-Monde, à Serge Panine, à Odette. Partant, c’est pour nous un devoir de charité que de restituer au public français les chances de plaisir qu’il s’est enlevées, et de lui rappeler que si les formules en usage chez nous depuis un demi-siècle sont moins abominables que certaines gens ne le disent, elles ne sont pas cependant nécessaires, universelles et éternelles ; qu’il peut exister et qu’il existe un théâtre construit en dehors de ces formules et qu’il n’est pas défendu de s’y divertir ; que Shakspeare, Calderon, Molière et Goethe n’ont pas attendu pour faire des pièces de théâtre qui fussent du théâtre les leçons de M. Scribe, et que la venue de ce révélateur n’a pas aboli leur mérite.

Tout cela, n’est-ce pas, serait excellent à dire, s’il était vrai que Barberine eût échoué proprement par cette raison que l’auteur y fait preuve d’un mépris trop impertinent pour ces usages de la scène, lesquels ont pris force de lois. Mais voici qui va mieux : je prétends que l’une des raisons, et la seule juste, du mauvais accueil fait à la pièce est que Musset ici a gâté son ouvrage par un trop grand souci de ces lois. Lisez la Quenouille de Barberine, comédie en deux actes, imprimée dans la Revue des Deux Mondes en 1835 et dans le volume unique des Comédies et Proverbes en 1840 ; lisez ensuite Barberine, comédie en trois actes ; comparez à la pièce écrite sans souci de la représentation la pièce remaniée pour la scène : celle-ci assurément vous paraîtra moins raisonnable et plus languissante que celle-là, et justement parce que l’auteur a voulu réduire son œuvre à ce respect recommandé des lois. Et, pour peu que vous regardiez tout le théâtre de Musset, vous comprendrez que cet événement, malgré les apparences, n’a rien de paradoxal ; si contraire qu’il soit à l’attente du poète, ce n’est pas un accident.

Quelles pièces de Musset ont réussi à la scène ? Un Caprice, Il ne faut jurer de rien, le Chandelier, les Caprices de Marianne, On ne badine pas avec l’amour. Laquelle de ces pièces était composée pour la scène ? Aucune. En regard, mettez ce que Musset a écrit expressément pour le