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l’enseignement spécial, on se demandera si c’est bien pour établir cette sorte d’enseignement que l’on a réclamé la création d’une chaire d’esthétique et d’histoire d’art.

Un bon moyen de sortir d’embarras, ce serait qu’une autre candidature nous permit de concevoir une autre façon encore d’enseigner l’histoire de l’art, et que cette façon fût telle, par hasard, qu’elle conciliât les légitimes exigences du grand public avec les traditions que le Collège de France est cependant tenu de conserver. Si, par exemple, un grand artiste, peintre ou sculpteur, ayant approfondi les principes de son art et la technique de son métier, en voulait bien pour ainsi dire extraire, non plus seulement ce qui s’enseigne dans les ateliers, expérimentalement ; mais ce que tout honnête homme, avec un peu d’effort, serait capable d’en comprendre ; s’il avait de plus une culture d’esprit assez étendue pour avoir senti le besoin, que la présomption seule et l’ignorance méconnaissent, d’éprouver ses théories au creuset de la tradition et de l’histoire, et de justifier sa pratique sur d’illustres exemples, de telle sorte que, sous chacune des leçons qu’il donnerait de son art on discernât le souvenir d’une grande œuvre et l’autorité d’un grand nom ; s’il avait enfin fourni publiquement les preuves qu’il est capable, par la parole ou par la plume, de traduire et d’exprimer ce qu’il pense, n’est-il pas vrai que ce serait là parmi tous le candidat désigné ? Car, comme on peut trop aisément s’en assurer, ce qui manque dans la critique d’art, et même à beaucoup d’historiens de l’art, mais à personne plus qu’à la plupart de nos esthéticiens, ce sont justement ces connaissances techniques ou, si l’on aime mieux, expérimentales, qui seules pourraient les empêcher d’appuyer, comme ils font si souvent, les motifs de leur admiration ou de leur critique sur des raisons qui font rire de pitié le sculpteur, le peintre, ou le musicien. Toute l’esthétique est là pourtant, et toute la critique, et, par conséquent, le fondement de l’histoire. Croyez bien, en effet, que ce n’est pas une petite affaire, quand l’admiration publique ou le dédain général ont touché juste, que de déduire à la foule les raisons précises de son dégoût ou de son enthousiasme, et si fortement que l’artiste lui-même y acquiesce. Et c’est pourquoi d’un enseignement qui serait donné par un artiste on pourrait attendre les meilleurs résultats. On a prononcé le nom d’un tel artiste, mais que nous n’avons pas le droit de reproduire ici, puisqu’il n’a pas encore lui-même officiellement posé sa candidature. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de souhaiter qu’il la pose.

On voit maintenant, comme nous le disions, que les questions de personnes sont, en la circonstance, et s’il en fut, des questions de principes. Qui que ce soit d’ailleurs d’entre les concurrens qui l’emporte, — sauf un seul, — la chaire d’esthétique du Collège de France demeurera ce qu’il a été régulièrement décidé qu’elle demeurerait. C’était, c’est encore l’important. Mais nous espérons que l’on ne s’en tiendra