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au Collège de France ? En tout cas, si l’institution est vraiment nécessaire, ce que nous ne nions pas, pourquoi ne pas la faire directement ? Ou si par hasard quelque obstacle s’y oppose, pourquoi la substituer précisément à l’une des rares chaires du Collège de France qui ne font double emploi ni avec une chaire du Muséum d’histoire naturelle, ni avec une chaire de la faculté des sciences, ni avec une chaire de la faculté des lettres, ni avec une chaire de la faculté de médecine, ni avec une chaire de la faculté de droit ? Car on ne serait pas embarrassé de citer une demi-douzaine de chaires qui n’ont vraiment pas de raison d’être au Collège de France, si ce n’est qu’elles y sont, et que, comme dit le code, possession vaut titre. Mais celle-ci, la chaire d’esthétique et d’histoire de l’art, comme la chaire d’histoire des religions, que je nomme parce qu’elle est, elle aussi, de création toute récente, voilà des chaires qui sont uniques dans le haut enseignement, dont la matière n’est peut-être pas beaucoup moins importante que la matière elle-même des chaires de persan et d’hindoustani, et qu’il faut sans doute se garder de supprimer ou de dénaturer, parce qu’on ne sait pas, une fois supprimées, combien il s’écoulerait de temps avant que l’initiative d’un ministre et la générosité d’une chambre, qui n’est pas toujours ce qu’on appelle donnante, permissent de les rétablir. C’est aussi bien ce qu’a pensé l’assemblée des professeurs du Collège de France. La chaire de M. Charles Blanc restera ce qu’elle était, ce qu’elle doit être ; et elle conservera le titre, qu’elle avait reçu dès l’origine, de chaire d’esthétique et d’histoire de l’art. Il est vrai que, comme ce titre est un peu large, ou plutôt un peu vague, c’est en vain que l’on aura décidé de ne pas dénaturer la chaire, si le choix du nouveau titulaire ne vient définir et préciser le sens de cette résolution.

Il est très regrettable que M. Taine, jusqu’ici, n’ait pas réclamé cette chaire comme son bien. Car si quelqu’un, en France, depuis quinze ou vingt ans, a renouvelé l’histoire de l’art et ramené l’esthétique, de ces hauteurs où elle s’égarait, sur le terrain solide et consistant de l’observation, c’est incontestablement lui. Je doute même, quelle que fût la valeur spéciale de M. Charles Blanc (et je n’essaierai point de la déprécier), comment l’opinion publique eût accueilli la création de cette chaire, si M. Taine, par son enseignement, par ses livres, par le mouvement d’idées enfin qu’il a suscité, ne l’y eût de longtemps préparée. Ce n’est pas le volumineux et magnifique album publié sous la direction de M. Charles Blanc, l’Histoire des peintres de toutes les écoles, mais encore moins le catalogue de l’Œuvre de Rembrandt ; ce sont les petits livres de M. Taine, c’est la Philosophie de l’art en Hollande, c’est la Philosophie de l’art en Italie, qui sont venus apprendre au grand public de quelle importance était ou pouvait être l’histoire de l’art à l’histoire de la civilisation ; comme c’est le livre encore de