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Vienne fut pour la musique, à la fin du XVIIIe siècle, ce que fut Weimar pour les lettres, et l’intérêt de ce rapprochement augmente encore quand on se représente l’union des deux muses s’accomplissant sous les auspices de Goethe et de Beethoven. Le mot d’ordre était donné, l’heure avait sonné des musiciens-poètes, nommez-les du nom qui vous plaira : Mendelssohn, Chopin, Schumann, Schubert, Karl Löwe ou Robert Franz. Ils forment un cycle original, tout moderne ; par eux la littérature est entrée dans l’art des sons, la note et le mot fraternisent ; à la place des niaiseries florianesques, voici le drame et la passion : le Roi des aulnes, Marguerite au rouet, la Religieuse. J’ai dit que nous étudierions les origines, voyons les précurseurs.

Pour Bürger, on le connaît, aussi bien chez nous qu’en Allemagne, ne serait-ce que par sa Lénore, type éternel de toutes les ballades fantastiques et sans lequel Victor Hugo n’eût peut-être pas écrit la Fiancée du timbalier, Dumas le Sire de Giac. Quant aux compositeurs dont le génie s’est de tout temps exercé sur la ballade de Bürger, on ne les compte pas. Zumsteeg fut le premier qui donna couleur de drame à ces poésies populaires jusqu’alors chantées, strophe par strophe, à la veillée, comme des litanies, avec accompagnement de rouets qui tournent et de fuseaux qui se dévident. Sa Lénore conserve en ce sens un intérêt historique, tandis que celle de Tomascheck, bien supérieure, est oubliée. Lorsque Zumsteeg mourut, les éditeurs n’eurent rien de plus pressé que de publier ses œuvres, et il y en a beaucoup, de valeur fort disparate, le médiocre et le mauvais à côté de l’excellent ; vous parcourez un morceau en regrettant les cinq minutes qu’il vous fait perdre, vous tournez la page : une surprise, une vraie trouvaille ! Zumsteeg et Tomascheck eurent pour successeurs dans cet ordre de composition Zelter et Reichardt, deux noms que le patronage de Goethe et sa correspondance ont mis en quelque lumière. Il est vrai que l’opinion de Goethe en un tel cas ne prouve guère. Ainsi, l’auteur de Faust, voulant féliciter Zelter, lui écrira : « Je n’aurais jamais cru que la musique fût capable d’exprimer des accens aussi profondément pathétiques, » et Goethe disait cela dans un temps où Mozart donnait l’Enlèvement au sérail, Don Juan et la Flûte enchantée ! Quelle autorité accorder à des jugemens de cette espèce ? Mieux eût valu complimenter Zelter pour sa littérature. Ses lettres à Goethe contiennent en effet plus d’intéressantes considérations, de critique et d’ingénieux points de vue que ses partitions ne renferment de bonne musique. J’indiquerai à ce propos comme témoignage une certaine page de cette correspondance, où Zelter, énumérant diverses impressions pittoresques, raconte à Goethe les analogies qu’un musicien ne peut s’empêcher d’établir entre la