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là. C’est extrêmement simple et primitif, comme on voit, mais je ne suis pas étonné, quelques jours après, d’apprendre qu’il la jonction de cette ligne improvisée avec la grande ligne de Washington à Richmond, un accident a eu lieu qui a coûté la vie à plusieurs personnes. On n’en a point fait de brait ; les Américains savent que, lorsqu’on veut mettre les chemins de fer en exploitation sans perdre de temps, avoir beaucoup de trains et marcher vite, il y a une certaine somme de risques à courir. Pourvu qu’un chemin de fer marche, c’est tout ce qu’il faut : on monte dedans ; un accident arrive : never mind ; go-ahead.

Nous traversons, en revenant, la ville ou plutôt le bourg d’Yorktown. Ce lieu, si célèbre dans l’histoire américaine, est en effet devenu un endroit des plus misérables, habité par des paysans fiévreux. On nous avait parlé d’installations provisoires qui y seraient établies, d’hôtels en bois qui s’élèveraient avec une rapidité magique et qu’on démonterait ensuite de toutes pièces pour les emporter ailleurs. Je cherche ces hôtels, mais je ne vois que des baraques, et je plains fort ceux qui ont dû y chercher un refuge. Ce qu’il y a par exemple en quantité, ce sont des bars. Sur l’emplacement vrai ou supposé du quartier de chaque général américain, français ou même anglais, une guinguette a été impartialement établie, et je soupçonne ceux qui y sont attablés de n’avoir qu’une idée assez vague des événemens historiques dont ils arrosent largement le souvenir. On enfonce jusqu’à la cheville dans une poussière indescriptible, et, la nuit tombée, il n’est pas très facile, en l’absence de tout éclairage, de retrouver son chemin. Décidément, l’intérêt sera tout entier dans la cérémonie officielle ; l’endroit lui-même n’y ajoutera rien.

Le lendemain est en effet le grand jour, le jour des discours. Sur le rivage nous attend un immense omnibus, dans lequel nous nous entassons, et qui doit nous conduire au lieu de réunion.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,


quatre maigres chevaux traînent notre omnibus. Au milieu de la côoe, ils sont tellement essoufflés que nous mettons presque tous pied à terre pour les soulager, et nous arrivons ainsi, un peu à la débandade, à la porte d’une grande baraque en bois, baptisée du nom de Lafayette hall, où nous devons attendre le président. Je crains qu’arrivant ainsi à pied, dans la poussière, la délégation française ne manque complètement de prestige aux yeux des populations. Mais sans compter que la population n’est pas nombreuse, je ne me doutais pas combien peu le prestige est de rigueur dans une cérémonie publique aux États-Unis. Après quelques minutes d’attente,