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par le comte de Rochambeau. Non-seulement, le principe étant posé, cette extension n’avait rien que de parfaitement correct, mais j’ajoute même qu’il eût été malséant d’exclure de ces fêtes anniversaires les représentans d’un homme qui a rendu de réels services à la cause américaine. Fût-il vrai qu’en gens avisés les membres du gouvernement américain aient craint, par une exclusion non justifiée, de donner un grief aux nombreux Germano-Américains (près d’un million) qui sont aujourd’hui électeurs aux États-Unis, il n’y aurait non plus, suivant moi, rien de reprochable dans cette préoccupation des plus légitimes. Il n’en est pas moins vrai que la nécessité de faire pendant quelques jours route et vie commune avec les descendans du baron de Steuben (qui du reste, dans ces circonstances délicates, se sont conduits en parfaits hommes du monde) devait nécessairement enlever quelque chose à l’aisance des relations et au plaisir du voyage.

Les choses se seraient pourtant passées sans incidens, grâce à un mutuel savoir-vivre, si le gouvernement allemand n’avait fort habilement mis tout en œuvre pour donner le caractère d’un témoignage de sympathie internationale à une invitation qui était une simple politesse faite à une famille. Non-seulement le gouvernement et l’opinion en Allemagne ont encouragé les descendans du baron de Steuben à venir aussi nombreux que possible, de telle façon qu’ils étaient sept pour représenter une seule famille, tandis que nous n’étions que onze pour en représenter soixante (grâce aussi à l’indifférence, suivant moi fâcheuse, d’un trop grand nombre de familles françaises), mais rien n’a été négligé pour donner au voyage des Steuben une sorte d’allure officielle. Le ministre d’Allemagne en congé avait été rappelé tout exprès pour les recevoir à leur arrivée et les présenter au président de la république. Le premier secrétaire de la légation en uniforme les accompagnait partout, et sa présence perpétuelle donnait ainsi à sept gentilshommes prussiens l’air d’une petite délégation officielle allemande, rivale de la grande délégation française. L’empire d’Allemagne s’étant fait ainsi de fête, il était impossible au gouvernement américain de ne pas reconnaître sa présence dans une certaine mesure, mais je dirai avec franchise qu’âmes yeux cette mesure a été dépassée lorsque, pour saluer notre arrivée dans la rade d’Yorktown, les frégates américaines ont reçu l’ordre de hisser l’aigle allemande à côté des trois couleurs françaises. L’égalité du traitement et des honneurs rendus au drapeau de deux pays dont l’un, il y a un siècle, a si efficacement contribué au triomphe de la cause américaine, dont l’autre n’est point intervenu dans la guerre comme empire et, comme nation, comptait bon nombre de ses enfans à la solde de l’armée anglaise, cette égalité, dis-je, était une erreur frisant la maladresse, a mistake, et je crois