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par les larmes de sa fiancée, reprend tout pensif le chemin de sa demeure :

Pensant à son épouse et craignant de mourir.


Tous les ans, le 1er mai, il y a dans ce cimetière une cérémonie publique, une sorte de jour des morts. Cette cérémonie a lieu auprès d’un monument élevé à la mémoire des morts inconnus. Il n’y en pas moins de quatre mille dont on n’a pas pu distinguer les traits et qui dorment oubliés dans une vaste fosse commune. Le soin des autres tombes est laissé à la piété des parens, qui paient généralement une redevance au conservateur pour qu’elles soient entretenues avec soin. Celui-ci loge dans l’ancienne maison du général Lee, une lourde mansion à un seul étage avec un fronton et un péristyle grec. C’est, nous dit-on, le type de ce qu’était autrefois la demeure d’un gentleman de la Virginie. De la pelouse qui s’étend devant cette maison on découvre une vue admirable. Le Potomac passe au pied de la colline et après sa jonction avec l’Eastern Branch s’élargit jusqu’aux proportions d’un grand fleuve. La ville de Washington s’étale au loin entre les deux rivières avec ses monumens massifs. Le soleil se couche derrière le Capitole, dont la coupole se détache en noir sur le ciel rouge et rappelle vraiment, cette fois, la coupole de Saint-Pierre lorsqu’on l’aperçoit des collines qui entourent la ville éternelle. Il y a dans ce paysage, à cette heure, une grandeur calme et triste qui répond bien au sentiment mélancolique dont cette longue promenade à travers les tombes nous a tous pénétrés. Et cependant, tout en suivant pour descendre du sommet de la colline une route qui serpente sous des ombrages magnifiques, nous nous disons les uns aux autres que les souvenirs de cette longue lutte entre le Nord et le Sud qui a tranché le cours de tant de vies n’ont cependant point l’amertume de ceux que nos dernières discordes ont laissés dans les cœurs français, que si la cause victorieuse était bien digne de vaincre, il y avait cependant de part et d’autre (l’existence tout entière du général Lee est là pour en témoigner) de nobles sentimens en lutte, et qu’après tout il n’y a qu’un grand peuple qui soit capable d’une grande guerre civile.


LE POTOMAC ET YORKTOWN.

17-20 octobre.

Pour nous transporter de Washington à Yorktown, le gouvernement américain a fait venir un de ces grands bateaux à vapeur qui font aux États-Unis le service des rivières. Yorktown étant situé à