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ou bien, à sa place, ne serait-ce point une unité collective d’élémens divers, grâce auxquels les forces concentrées sur un seul navire, — éperon, canons, torpilles, vitesse, — pourraient, au moment psychologique, développer, fournir le maximum de leur puissance, c’est-à-dire de leur effet utile ? En d’autres termes et pour poser le problème avec plus de clarté et plus de précision, un cuirassé d’escadre luttant à la fois contre un bélier-éperon, un navire armé d’une pièce du plus fort calibre, dont il serait simplement l’affût mobile, quatre porte-torpilles, tous ayant et pouvant développer dans toutes les phases du combat une vitesse supérieure, un cuirassé d’escadre, disons-nous, ainsi attaqué, résisterait-il à l’assaut simultané de ces adversaires[1] ?

Sans chercher dans une discussion technique quelle est la valeur pratique de cette conception nouvelle de l’unité de combat des escadres actuelles, nous constaterons en sa faveur que c’est sur l’action combinée de ses propres élémens, s’appuyant sur les forts à terre quand il y en aura, que repose d’un commun accord la défense des côtes et des ports de mer du littoral. De tout ce qui précède, la première des assertions, point de départ de nos recherches : Nul ne peut préciser quel est aujourd’hui le véritable instrument de combat dans une guerre maritime, n’est-elle pas pleinement justifiée ?

De cette incertitude même on pourrait conclure a priori à l’incertitude des règles de la nouvelle tactique navale ; mais malheureusement, ou heureusement, même avec les flottes composées de cuirassés d’escadre, cette incertitude est reconnue par tous ceux qui s’occupent de cette science : c’est ce qui résulte de leurs écrits et même des codes adoptés par les escadres d’évolution des plus grandes nations maritimes. Il semble admis pour le combat que l’action s’engagera par une première passe, un choc entre adversaires singuliers, un à un ; l’escadre étant rangée « dans un ordre sur lequel on ne saurait poser aucune règle absolue, car un amiral devra toujours s’inspirer des exigences du moment et subordonner la formation de ses vaisseaux aux manœuvres et à la nature de l’ordre adopté par ceux qu’il doit combattre[2]. » Il semble encore admis, par une fiction de la théorie que l’expérience ne semble pas devoir justifier, tant elle comporte de calme, de sang-froid, de volonté inébranlable, que cette passe d’armes, ces chocs ne produiront pas de résultat sérieux, — les vaisseaux n’ayant fait que se frôler, — et que la première phase du combat sera suivie « d’une mêlée dans laquelle une escadre doit se diviser en plusieurs groupes de bâtimens formant chacun une unité de combat » s’attachant à des advers-

  1. La question en termes identiques se discute actuellement à l’amirauté anglaise.
  2. De Penfentenyo, Projet de tactique navale.