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tance ? la solution, un moment entrevue à l’heure fugitive où les murailles de fer remplacèrent les murailles de bois, s’éloigne chaque jour devant ceux qui la cherchent. Le fer a remplacé le bois, l’acier remplace le fer, le canon rayé de 100 et de 120 tonnes a remplacé un moment l’obusier Paixhans, et le canon monstrueux à âme lisse de la marine américaine. Le choc par l’éperon remplace le choc par l’étrave. La torpille Withehead remplace l’inoffensive torpille dormante dont les Russes avaient semé les abords de Cronstadt aux jours lointains de 1854. Les rams, les béliers au lourd éperon, armés d’une ou de deux pièces du plus fort calibre, remplacent les batteries flottantes devant lesquelles s’écroulaient les murailles de Kinburn, que la catastrophe de l’Arrogante a pour toujours condamnées et auxquelles les Russes opposeraient aujourd’hui leurs popofka circulaires ; les thornycroft, aux vitesses de 18 à 20 milles à l’heure, naguère réputées impossibles, remplacent la lourde et bruyante chaloupe porte-torpille d’autrefois… Est-ce tout, et ces transformations rapides, sinon ces progrès, de par la science, sont-elles les dernières que la science imposera ? Qui l’oserait dire ? Dès lors n’est-il pas permis d’affirmer que ni le Lepanto italien, ni l’Invincible anglais, ni la Dévastation française, — et ces noms sont pris entre bien d’autres, — ne réalise dans la marine d’aujourd’hui le type cherché de l’unité de combat, de cette unité qui constituait les anciennes marines : le vaisseau de ligne. On insiste et l’on dit : La science, ou du moins ses applications à la guerre sur mer, ont leurs limites, qu’impose la raison des choses. L’heure approche, si elle n’est sonnée déjà ; on touche à ces limites. En fait, les cuirassés de création récente se valent à peu de chose près et sont également puissans et pour l’attaque et pour la résistance. En les fondant dans un type unique, après une expérience sérieuse, on aura résolu le problème autant que sa solution est possible ; et quelle expérience ? celle de la guerre ! Fata viam invenient. Jusqu’alors, la véritable puissance maritime d’un pays a pour expression supérieure ses escadres, c’est-à-dire la réunion en nombre plus ou moins considérable de cuirassés construits sur le type le plus récent.

C’est le propre des idées justes qu’après un certain temps de doute et de défiance, elles s’imposent à tous les esprits de bonne foi. Les idées qui, depuis trente ans, ont prévalu et qui nous ont conduits à l’état de choses que nous avons essayé de résumer, ont-elles ce caractère d’évidence ? s’imposent-elles ? Précisons-les.

La première, l’idée fondamentale, origine, point de départ, principe même de tout le système actuel, est celle-ci : Le navire de combat est avant tout un navire cuirassé ; la seconde : Le cuirassé d’escadre doit réunir en lui le maximum d’attaque, le maximum de résistance.