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suffisait à sa force d’invention : tels furent, semble-t-il, les caractères de la seconde forme du bucoliasme. C’est, du moins, ce que l’on peut induire de certaines pièces ou de certains morceaux de Théocrite, qui, en recueillant ces élémens primitifs, ne les a certainement pas dénaturés : il a dû, au contraire, s’étudier à les conserver, comme ce qui constituait le style propre du genre qu’il introduisait dans le monde littéraire.

À cette seconde espèce de bucoliasme appartiennent les petits morceaux non dialogues qui se trouvent dans la xe et la viiie idylles. On peut y rattacher toute la troisième, cette charmante plainte amoureuse qu’un jeune chevrier vient chanter au seuil de la demeure d’Amaryllis, une grotte toute revêtue de lierre et de fougère ; sorte d’élégie pastorale où une passion naïve s’épanche en petites phrases de deux ou trois vers, proportionnées aux courts élans de l’imagination ; première idée de la belle composition du Cyclope, qui reprend le même thème, mais avec la liberté de rythme et la largeur de développement que demande une conception plus puissante. L’œuvre à la fois la plus caractérisée et la plus artistement construite à l’image du bucoliasme non dialogué, c’est le chant de Daphnis dans la première idylle. D’après la distribution la plus vraisemblable, cette poétique complainte sur la mort du héros pastoral se compose d’une série de couplets de quatre vers, séparés par un vers intercalaire ou refrain, par lequel le poète semble s’encourager lui-même à l’effort nécessaire pour chaque nouveau développement : « Commencez encore, ô muses, commencez un chant bucolique. » Une légère modification annonce aux derniers couplets que la narration touche à sa fin : « Cessez, ô muses, allons, cessez le chant bucolique. »

Enfin Théocrite tire un admirable parti de ce genre de composition dans le mime des Magiciennes. Les strophes de quatre vers, où est décrite, ou plutôt mise sous les yeux, la scène d’incantation, celles de cinq, où l’amante de Delphis raconte l’origine et les phases de son amour, se succèdent faciles et variées, sans que l’expression, nette et profonde, ardente et douloureuse, soit un instant refroidie, sans que l’on cesse d’y sentir comme circuler le mal qui dévore la femme délaissée, malgré le retour périodique du vers intercalaire : « Oiseau magique, attire mon amant vers ma demeure. » — « Connais d’où vint mon amour, ô divine Séléné. » Ces invocations, dont la première accompagne les rites magiques, et la seconde le récit, soutiennent de leur note passionnée l’excitation de cette magicienne par amour, jusqu’au moment où, ayant tout accompli, s’étant rassasiée du triste plaisir de se retracer à elle-même ses émotions et ses souffrances, elle retombe dans la réalité présente. Est-ce seulement