Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/310

Cette page a été validée par deux contributeurs.
304
REVUE DES DEUX MONDES.

nombre de vers. Ce n’est qu’une conversation qui marche au hasard entre un bouvier et un chevrier mercenaires des environs de Crotone, de caractères différens, l’un naïf et doux, l’autre assez malveillant et agressif. L’état du troupeau du premier, des médisances sur ses maîtres, un athlète et le vieux père qu’il a laissé chez lui en partant pour les jeux Olympiques, font les principaux frais de l’entretien ; ces médisances s’interrompent un instant pendant qu’un berger retire à son compagnon, le querelleur, une épine que celui-ci s’est enfoncée dans le pied en courant après une vache ; « et voilà toute l’idylle, » comme dit Fontenelle. Ce n’est plus aujourd’hui que l’on s’aviserait de contester l’intérêt d’une pièce qui, sans richesse d’invention ni distinction dans les sentimens, se soutient par la justesse et par le relief du détail.

La simplicité ou, si l’on veut, la vulgarité n’est pas moindre dans la ve idylle ; certains traits, dont l’un a été adouci par Virgile, effaroucheraient à bon droit la délicatesse moderne. Ce qu’elle offre de plus intéressant pour une étude de l’art, c’est une image assez directe de la forme que paraît avoir revêtue primitivement le bucoliasme. Du moins Théocrite a-t-il voulu, dans une composition d’un artifice tout personnel, le montrer comme naturellement mêlé aux mœurs grossières des pâtres de l’Italie méridionale. Non-seulement ces deux mercenaires, très vulgaires interprètes de la mutuelle antipathie des Sybarites et des Thuriens, s’injurient et s’apostrophent en groupes symétriques de vers, où se glissent parfois les grâces de la poésie descriptive, — ce qui est une fiction tout artificielle ; — mais leur querelle aboutit à une joute poétique. Elle s’engage aussitôt qu’ils ont trouvé un juge, le bûcheron Morson, qui ramassait des bruyères dans le voisinage. C’est cette joute poétique qui rappelle plus directement la forme première du bucoliasme. Les deux adversaires luttent, pour ainsi dire, à coups de distiques, dont chacun est un petit développement sur une seule idée. Voici quelle paraît être la loi de ces sortes de combat. Un des deux chanteurs, désigné par le sort ou par une convention, commence, et cet ordre reste établi pour toute la lutte. Il débite des vers (ici il n’y en a que deux) sur le sujet qu’il lui plaît de choisir ; l’autre est tenu de répliquer aussitôt par le même nombre de vers du même tour et dans le même ordre d’idées, et de rendre au moins l’équivalent de ce qu’il vient d’entendre par les analogies, les correspondances et les contrastes. Ils continuent jusqu’à ce que l’un d’eux renonce ou que le juge, suffisamment éclairé, lui impose silence. Tantôt celui qui conduit la lutte reste dans des sujets voisins, tantôt il change brusquement de sujet et de ton. Le mieux est d’y mettre une grande variété. Ainsi, dans la ve idylle, la mention d’amours rusti-