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cependant que cette poésie puisée à des sources si voisines de celles de l’idylle n’est pas de la poésie bucolique.

Il est toujours intéressant pour notre goût de rapprocher entre eux de beaux vers écrits sur des sujets analogues ; mais ce qui est le plus utile pour l’intelligence de Théocrite, c’est de chercher d’abord dans le passé la matière et les origines de ses compositions bucoliques, afin d’en bien déterminer l’esprit et d’en marquer plus sûrement l’originalité. C’est ce que nous avons commencé avec Hésiode ; continuons et complétons cette recherche.


II.

C’est Homère qu’il faut d’abord citer. Le premier modèle de la grande poésie, le maître souverain de l’épopée et du drame tragique, donne aussi les premiers et les plus remarquables exemples de l’idylle, entendue dans le sens que les modernes attachent généralement à ce mot. Une bonne partie du vie chant de l’Odyssée, la rencontre d’Ulysse et de Nausicaa, si admirée de Goethe, est la plus belle idylle qui existe ; c’est celle qui a tout à la fois le plus de charme, de pureté et de grandeur. La grâce sévère de ces lieux sauvages, les bords de ce fleuve qui verse ses belles eaux dans la mer au milieu des bois et des rochers ; la naïve simplicité des mœurs, ces filles des princes phéaciens venant aider la fille du roi à laver les vêtemens de ses frères, leur arrivée avec leur chariot traîné par des mules, leur ardeur au travail et leurs jeux : quel paysage et quels tableaux ! Et cette rencontre des deux principaux personnages qui avait tenté le pinceau du grand peintre Polygnote, l’apparition d’Ulysse, sortant nu et souillé par la mer du fourré où il a cherché un asile, et la belle Nausicaa restant seule dans sa chaste dignité au milieu de la fuite de ses compagnes, quelle hardie et heureuse opposition ! Et leurs admirables entretiens : d’un côté, cette musique caressante qui sort des lèvres d’Ulysse, le charmeur de l’âge épique ; de l’autre, toutes ces nuances délicates, l’amour naissant dans cette élégante et fière nature, la coquetterie ingénue et la pureté, la grâce spirituelle et la suprême noblesse : comment se détacher de tant de charmans détails ? Et dans tout cela, au milieu des séductions naturelles des lieux et des êtres humains, circule comme le souffle des divinités les plus pures du monde sauvage, des nymphes, d’Artémis, dont les gracieuses et nobles images y sont associées par le poète. N’est-ce pas l’idéal même de tout cet ordre de beautés que l’idylle s’étudiera à saisir pour en faire son domaine particulier ? Les voilà dans leur première et naïve expansion ; elles s’échappent fraîches et radieuses d’un des moindres courans où s’épan-