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dupe ou victime de celui dont on n’avait pas refusé d’être complice ?

C’est là, en s’élevant à un point de vue encore plus général et plus étendu, l’enseignement politique et moral qui ressort des faits dont nous avons tracé le tableau. La suite le rendrait plus évident encore aux yeux de ceux qui auraient la patience d’en étudier le développement. Ce n’était pas, en effet, pour ce jour-là seulement ni pour l’issue d’une seule guerre, c’était pour un plus long avenir que la France, en s’associant à l’ambition de Frédéric (au lieu de l’écraser dans son germe), avait porté à ses propres intérêts et à sa grandeur future un coup dont elle ne pouvait accuser qu’elle-même. Au sein de cette vieille Europe, où elle jouissait d’une prépondérance incontestée, elle avait non pas seulement laissé, mais fait éclore une puissance nouvelle qui, jetant son épée de droite et de gauche dans les deux plateaux de la balance, devait en déranger pour jamais l’équilibre. Elle avait ouvert une ère de spoliations et de conquêtes qui, commençant par la Silésie pour se continuer par la Pologne, s’est perpétuée jusqu’à nos jours à travers les vicissitudes de nos révolutions et dont, en définitive, nous avons souffert plus que personne. Telle a été la conséquence, éloignée sans doute, mais très directe, d’un acte initial auquel la prudence avait manqué encore plus que la loyauté. Le châtiment, quelque grand qu’il soit, peut paraître mérité. A la vérité, si on voit de quelle faute la France fut alors punie, il est moins aisé de reconnaître de quelles vertus d’autres ont été récompensés. Entre Fleury et Frédéric, tous deux coupables, — à des degrés différent, — du même méfait, on s’étonne de voir l’un recueillir le fruit de son audace au moment où l’autre paie chèrement le prix de sa faiblesse. De tels contrastes choquent souvent nos regards dans le tableau confus des affaires humaines. La Providence ne nous dit point dans quelles vues mystérieuses elle exerce ici-bas sa sévérité par des dispensations que notre esprit borné trouve parfois irrégulières et inégales. Heureusement, si elle éprouve ainsi notre foi dans sa justice, elle prend soin en même temps de la raffermir par des traits inattendus et éclatans. C’est ainsi que, dans le récit même qui a passé sous nos yeux, si de scandaleuses prospérités affligent les amis du droit, le noble exemple de Marie-Thérèse, ramenant à force d’intrépidité la fortune du côté de l’innocence et de la faiblesse, console les consciences troublées et venge la moralité de l’histoire.


DUC DE BROGLIE.