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ce mois, et je suis persuadé qu’elle me la pardonnera elle-même dans le fond de son cœur… J’avais une si parfaite confiance dans la parole si souvent réitérée de Votre Majesté de ne rien écouter que de concert avec nous, et nous avons, de notre côté, si fidèlement observé ce traité, que je ne puis exprimer l’étonnement avec lequel j’ai appris les changement inespéré (sic) de Votre Majesté. Je n’entrerai pas, par respect, dans la discussion de tous les motifs du parti qu’a pris Votre Majesté, quoique j’eusse beaucoup de choses a y répliquer ; mais cela serait inutile, et dès que Votre Majesté a fait la paix, nous n’avons qu’à y souscrire, sans même nous en plaindre dans le public. Je puis l’assurer de notre circonspection et de notre silence. J’avoue qu’il n’en est pas de même de la nation ; Votre Majesté connaît la liberté avec laquelle elle parle, mais si on entreprenait de l’arrêter, peut-être cela ne servirait qu’à l’aigrir… Je souhaite que Votre Majesté trouve dans ses nouveaux alliés la même bonne foi et la même droiture qu’elle trouvera toujours en nous ; notre intérêt sera toujours de maintenir son pouvoir et son autorité, et je me flatte qu’elle est trop éclairée pour ne pas convenir que le sien s’y rencontre aussi. Tôt ou tard, elle le sentira encore davantage, et s’il m’est permis de parler de moi après des noms si respectables, je prendrai la liberté d’assurer que rien ne me fera oublier toutes les marques de bonté personnelle dont elle a bien voulu m’honorer[1]. » La dernière phrase peut-être était superflue. Le même courrier emportait des instructions adressées à Belle-Isle, en lui enjoignant de se rendre au camp autrichien pour y porter des ouvertures de paix. Valori affirme, dans ses Mémoires que sur le texte de ces instructions Fleury ajouta cette note de sa propre main : « La paix, monsieur, à quelque prix que ce soit. » Quelque digne de foi que soit le témoignage de Valori, je dois à la vérité de dire que j’ai cherché vainement ce post-scriptum sur les minutes conservées aux affaires étrangères[2].

Qui le croirait ? Si l’on gémissait à Versailles, il y avait encore une autre cour où l’on versait des larmes ; c’était à Vienne, Marie-Thérèse aussi pleurait. Au lendemain d’une paix qui lui rendait un royaume, la délivrait d’un de ses ennemis, et la vengeait de l’autre,

  1. Fleury à Frédéric, 30 juin 1742. — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.) — Cette lettre n’est pas celle qui est insérée dans l’Histoire de mon temps. Fleury écrivit deux fois à Frédéric : une première fois, le 21 juin, quand on pouvait croire que la seule chose qu’il se proposait était d’entrer en négociation pour la paix en commun avec ses alliés ; et une seconde, le 30 juin, quand sa défection fut connue et certaine. C’est la première seulement de ces deux lettres que Frédéric a publiée.
  2. Mémoires de Valori, t. I, p. 70.