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repos, persuadé qu’on me rapportera les préliminaires signés[1]. »

Frédéric put dormir, en effet, deux nuits en repos en attendant l’exécution de ses ordres. Sa lettre était du 9, et ce ne fut que le 11 que Valori, sur l’avis envoyé par le maréchal de Broglie et apporté par Mortagne, vint réclamer le secours qui avait été promis pour le cas d’extrême nécessité.

Le roi, au premier moment, tout en témoignant beaucoup d’humeur et se répandant en invectives sur l’incapacité des généraux français, ne nia pourtant pas son engagement. Au contraire, il semblait même vouloir faire encore plus qu’il n’avait promis, car il parlait de marcher sur Prague en personne ; seulement, il voulait attendre deux jours pour avoir des nouvelles plus détaillées. Et comme Valori lui représentait que la hâte était nécessaire et qu’on pouvait toujours, en attendant, donner aux détachemens les plus rapprochés de Prague l’ordre de se porter en avant : « Ne me pressez pas de le faire, dit-il, vous me servez assez d’exemple sur les inconvéniens qu’il y a de faire des détachemens. Mon ami, ajouta-t-il, votre éloquence pourrait peut-être m’engager à faire quelque traité, mais elle échouera sur ce que vous me proposez. (Si je me bats) je veux battre ou être battu tout ensemble. »

Quelques heures après, Valori demandait de nouveau audience. C’était Belle-Isle, cette fois, qui envoyait de Dresde, où la triste nouvelle l’avait rejoint, un appel pressant et désespéré. Jugeant alors que l’hypocrisie n’était plus possible : « Monsieur le marquis de Valori, dit Frédéric, je ne veux pas tromper le roi ; je vais vous parler avec toute la franchise imaginable. Les choses sont dans un état désespéré… Votre M. de Broglie mérite toute sorte de reproches… il n’y a plus d’armée française, vous êtes coupés de vos recrues et de vos magasins… Ceci est une affaire perdue. Je vous déclare qu’il faut faire la paix. » Puis il revint sur les avis (suivant lui bien fondés et venant de très bonne part) qu’il avait reçus des négociations clandestines poursuivies à son insu entre Vienne et Paris. « Je ne veux pas être la dupe, dit-il, et je vous répète que je travaille à ma paix vos affaires sont dans un état à ne devoir pas se rétablir. » Sur un mouvement involontaire de ma part, continue Valori : « Je vois, reprit-il, que vous êtes bien fâché, mais il faut le dire au maréchal de Belle-Isle. — Je lui dis qu’en effet, ma surprise était extrême, d’autant plus que les affaires ne pouvaient être désespérées qu’autant qu’il ne voudrait pas y mettre la main ; qu’il y avait plus d’un parti à prendre pour les rétablir et sûrement. — Oui, me répondit-il, en m’exposant encore à une bataille, et c’est ce que

  1. Pol. Corr., Frédéric à Podewils, t. II, p. 190.