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par le sentiment d’un intérêt commun. Ces discours, ne sont à retenir et à considérer dans l’ordre des faits contemporains, à côté des actes politiques des cabinets, que, parce qu’ils sont la traduction des plus vivaces passions de race, et aussi parce qu’ils montrent ce, qu’il y a d’incertain dans une situation où le moindre incident prend des proportions imprévues, où quelques paroles suffisent pour mettre, les imaginations en campagne, pour réveiller tous les ombrages. À la vérité, pour des discours, c’est bien assez, c’est peut-être, trop !

Le Nouveau-Monde a, lui aussi, ses spectacles de vie publique qui ne ressemblent pas toujours aux spectacles du vieux monde, qui ne laissent pas néanmoins d’avoir leur originalité et leur intérêt. Il est certain qu’il y a dans l’histoire et dans la politique peu de phénomènes aussi saisissans que cette puissance croissante des États-Unis, qui s’est formée par le travail, par l’industrie, par la liberté comme par la diplomatie, qui en est venue par degrés à jouer avec les desseins les plus ambitieux d’influence ou de domination. Ce qu’on a depuis longtemps appelé la doctrine de Monroë, — l’Amérique aux Américains, à l’exclusion de l’Europe, — a pu n’être d’abord qu’un mot ; c’est de plus en plus une réalité. Il y a quelque temps déjà, le ministre des affaires étrangères de Washington avait eu l’idée de réunir un congrès où il appelait les représentans des divers états de l’Amérique centrale. Il s’agissait de constituer une sorte de confédération qui aurait été placée naturellement sous le protectorat des États-Unis et dont l’objet évident était de placer dans la dépendance du gouvernement de l’Union le transit entre les deux Océans.

C’était déjà quelque chose ; mais le secrétaire d’état de la dernière présidence, M. Blaine, ne se bornait pas à la protection de l’Amérique centrale, il étendait ses vues, bien plus loin. Il n’est point douteux aujourd’hui qu’il employait toute l’activité de sa diplomatie, à fonder la prépondérance des États-Unis dans l’Océan-Pacifique à la faveur de la malheureuse guerre qui a éclaté, qui s’est si cruellement prolongée entre le Chili et le Pérou. Les détails de cette action diplomatique étaient d’abord assez peu connus ; ils viennent d’être révélés par la publication d’une masse de documens mis au jour depuis l’avènement à la présidence de M. Arthur et la retraite de M. Blaine, qui a été remplacé au ministère des affaires étrangères par M. Frelinghuysen. Il en résulte qu’en paraissant s’offrir comme arbitre ou comme médiateur, M. Blaine se proposait manifestement une sorte de prise de possession partielle ou indirecte au nom des États-Unis. Il étendait sa, main protectrice sur le Pérou vaincu, envahi et malheureux, il avait fait élire au milieu de cette immense anarchie péruvienne un président qui n’avait nécessairement rien à refuser a ses agens et qu’il a soutenu contre le Chili. En réalité, l’idée de l’envoyé américain à Lima était d’établir un protectorat ou, mieux encore, de